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gédie. C’est une remarque assez banale que la même circonstance et la même action humaine peuvent être à la fois profondément pathétiques et excessivement amusantes, et dans la mesure de la vérité de cette observation, la combinaison des deux effets dans l’art est naturellement justifiée, si l’art doit être le miroir fidèle de la réalité. Mais on introduit encore quelquefois à dessein le grotesque et le comique, dans une situation réellement tragique, à titre d’élément subordonné. Pour ne pas citer d’exemples du grand auteur dramatique anglais, maître en ce genre de mélange, nous pouvons nous référer au bavardage baroque des campagnardes, introduit par M. Tennyson à un moment si sérieux de sa tragédie de la Reine Marie, ou aux amusements des enfants, qui ne sont pas surveillés, dans le tableau si pathétique de M. Fildes, le veuf (The Widoiuer).

Je sais parfaitement que même parmi les personnes d’un goût cultivé, il existe de nombreuses différences individuelles de sentiment, relativement à l’étendue légitime de ces combinaisons. Cependant il semble généralement admis que l’effet est quelquefois juste et on se demande comment cette interruption apparente dans l’harmonie de l’art peut se justifier. Pour répondre à cette question, il faudrait examiner les circonstances qui produisent la compatibilité ou l’incompatibilité des sentiments, l’action du changement et du contraste dans l’émotion, etc. Cette série de recherches nous conduirait non-seulement à quelques-unes des vérités les plus profondes de la psychologie de la conscience individuelle, mais encore à des doctrines presque aussi importantes de la psychologie de la race. Nous aurions à considérer, par exemple, comment les expériences du genre humain contribuent par leur permanence et leur fréquence à produire une certaine facilité de transition entre les émotions correspondantes.

Nous pouvons maintenant expliquer l’autre mode de solution psychologique des faits esthétiques, à savoir l’appréciation raisonnée de quelque développement particulier de l’art, par l’examen de la nature et de l’origine des sentiments en question. Supposons ce problème : que devons-nous penser de l’élément élégiaque dans l’art moderne, de cette teinte mélancolique répandue sur nos arts légers et comiques, aussi bien que sur les œuvres plus sérieuses et qui se manifeste particulièrement dans la musique, l’art moderne par excellence ? Il est facile de raisonner conformément à la méthode géométrique en partant de quelque principe premier de l’art. On dira, par exemple : le but de l’art étant le plaisir pur, le mélange de tristesse doit être blâmé comme quelque chose de morbide et de mauvais. Mais la méthode suggérée par les lois de l’évolution mentale nous empêche de