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garten et ses successeurs ne sont occupés que de décrire et de caractériser tous ces faits, impressions, sensations, actes et facultés de l’esprit que met en jeu l’idée du beau et de l’art. Kant lui-même ne fait pas autre chose quoiqu’il renouvelle la science et creuse plus avant ; mais voilà tout. Ce qu’il décrit et critique avec plus de rigueur, c’est le goût, la faculté de juger, qu’il analyse et qu’il juge. Le beau en soi, pour lui, n’existe pas. Ses successeurs font de même : Schiller lui-même, quoiqu’il essaie de sortir de ce point de vue. — Avec Schelling et l’idéalisme transcendental, un autre mouvement commence. C’est alors le beau lui-même, le beau objectif, qui est abordé, étudié, proclamé. L’art est considéré en lui-même dans ses productions et ses œuvres comme manifestation de l’absolu. Tout ce qui vient après est conçu dans le même esprit. La science et la philosophie de l’art sont entrées dans cette voie ; sur cette base s’élève tout son édifice[1].

Ce sont là les deux grandes phases de la pensée allemande ; l’esthétique les a parcourues aussi dans son évolution. M. Schasler n’a pu le méconnaître. Mais chez lui ce mouvement est comme dissimulé, caché, étouffé sous les divisions et subdivisions de la classification artificielle qu’il a adoptée. C’est là un défaut très-grave et qui s’étend à toutes les parties de cette histoire. Si l’exposition en souffre, on doit penser que l’appréciation des systèmes ne peut y rester étrangère. La critique de l’auteur, malgré ses mérites supérieurs, doit y perdre souvent de sa justesse et de son impartialité[2].

Nous n’en voulons pas d’autre preuve que la manière dont est traité celui qui a ouvert et inauguré l’une de ces deux grandes périodes. C’est Schelling qui, on peut le dire, a fondé la philosophie de l’art en proclamant l’art indépendant, une des hautes manifestations de la pensée. Hegel lui-même le reconnaît (V. Esthét., introd., p. 82). Comment est jugé et apprécié Schelling dans cette histoire ? Quelle place y occupe-t-il ? Nous avons regret de le dire, son rôle y est tout à fait méconnu. L’article qui lui est consacré est empreint d’un bout à l’autre de l’esprit le plus exclusif et le plus étroit. Nous avons à faire à M. Schasler le même reproche que pour Platon dans l’esthétique ancienne. L’auteur de l’Idéalisme transcendental est

  1. Nous avons essayé de marquer plus en détail ce mouvement général des systèmes de l’Esthétique allemande dans notre Introduction à l’Esthétique de Hegel, 2e édition, 1875.
  2. Sur tous ces points nous aimons à nous trouver d’accord avec un éminent critique, M. Lasson, qui, dans deux remarquables articles (Zeitschrift fur Philosophie und philosophische Kritik, 1873), a rendu un compte détaillé de l’ouvrage de M. Schasler ; il en a savamment et judicieusement relevé les mérites et les défauts.