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e. cazelles. — morale de grote

forme est la même : c’est le jugement externe, quel qu’il soit, du juge qui contemple l’agent, et qui prononce en s’inspirant de son amour pour ce qui procure le bien, et de sa haine pour ce qui procure le mal. La matière diffère : la ligne de conduite recommandée ou imposée par le sentiment éthique, en tel ou tel temps, en tel ou tel lieu, est celle que recommandent ou imposent des croyances ou des préjugés dont la formation remonte à l’époque même où le sentiment éthique s’est constitué. Si l’esprit ne rencontrait que des faits dont l’appréciation ne comportât pas d’erreur, ses jugements sur ce qui fait du bien et ce qui fait du mal, c’est-à-dire sur ce qui est d’intérêt universel pour l’homme, seraient partout identiques : le sentiment éthique se constituerait partout et en tout temps de même. Mais à côté de ces jugements exacts du premier coup, pour ainsi dire, il en est d’autres dans lesquels l’erreur est possible, parce que l’expérience qui la redresserait, est obscure ou tardive. Non-seulement l’homme se trompe sur la question de savoir si un fait est une cause de bien ou de mal social, mais il se trompe encore sur l’appréciation des faits qui accompagnent ces causes et leurs effets. À des choses tout à fait insignifiantes, il attache des idées favorables ou défavorables ; il les regarde comme des sources de bien ou de mal. Dès lors diverses déviations du sentiment éthique se produisent, puis vient l’éducation, dont la puissance les enracine et les perpétue ; en sorte qu’il faudra un jour, pour ramener la morale à la vérité, une réforme radicale qui paraît au premier abord un attentat monstrueux et abominable contre la morale elle-même.

De ce que le sentiment éthique naît du jeu de l’association mentale, cela ne veut pas dire qu’il soit factice : il est seulement dérivé. Pas plus que dans la formation des langues, on ne voit dans celle de ce sentiment rien qui accuse un plan préconçu. Au contraire le travail social qui a construit un sentiment éthique donné, s’est fait en général assez mal. Produit de l’association du sentiment du plaisir et de la peine avec tels ou tels actes, tantôt le sentiment éthique contient, suivant les circonstances au milieu desquelles il a pris naissance, des matériaux qui n’y devraient pas entrer, tantôt il manque de ceux qui nous semblent, à nous, y avoir leur place marquée. Chacun des détails qui y figurent est l’effet d’une cause spéciale qui doit demeurer inconnue pour nous. L’histoire nous l’apprendrait, si l’histoire des sociétés primitives existait.

Tout ce que nous savons par le moyen de l’expérience, c’est la manière dont le sentiment éthique se transmet et se conserve, et là, le rôle de l’association se montre dans toute son évidence. Il n’est pas nécessaire pour en expliquer la formation d’invoquer un prin-