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e. cazelles. — morale de grote

ces effets sont pour lui un droit. L’idée de réciprocité, d’un quasi-contrat, le rudiment de l’idée de justice enfin, se forme en lui.

Au début des sociétés, l’homme a dû se trouver dans une situation analogue en face de l’ensemble de ses pareils, puissance collective avec laquelle il s’est senti obligé de compter. Les actions propres, celles qui s’appellent bonnes, honorables, louables, décentes, etc., s’unissent par association à l’idée qu’elles sont des antécédents d’actes qui doivent témoigner des bonnes dispositions d’autrui en sa faveur. Le sentiment avec lequel il regarde les actions contraires, les mauvaises, les honteuses, les blâmables, les indécentes, etc., est le sentiment que la défaveur d’autrui va se montrer avec toutes ses conséquences funestes pour lui. Or, il est pour sa sécurité et son bien-être d’une nécessité absolue qu’il s’assure des bons sentiments de ses semblables, et qu’il obtienne protection contre leur malveillance.

S’il n’y avait dans l’homme que des sentiments égoïstes, en entendant par ce mot ceux qui n’ont pour fin que sa personne, sa conscience morale aurait sans doute une constitution peu compliquée : elle le serait moins que celle que nous observons chez l’enfant en qui, pourtant, les sentiments égoïstes se montrent avec une prépondérance si marquée. Mais il est d’autres sentiments qui jouent un rôle dans la production de la conscience morale : ce sont les émotions sympathiques qui associent souvent notre malheur à celui d’autrui, et quelquefois aussi notre bonheur à celui d’autrui. Leur action combinée avec celle des sentiments égoïstes nous met en état « de nous attacher fortement à un bien général » et nous fait éprouver une forte aversion pour une cause d’un mal général. Ce sont ensuite les sentiments de bienveillance et de malveillance, dont la liaison avec les émotions sympathiques est si étroite que les auteurs des biens et des maux qui affectent l’ensemble de la société deviennent pour nous des objets d’affection et d’aversion.

Grâce au concours de ces sentiments la constitution de la conscience morale se complique : elle ne se compose plus uniquement du sentiment de l’approbation ou de la désapprobation, actuelle ou possible, d’autrui, du mérite ou du démérite envers autrui, considéré comme individu, ou comme groupe d’individus ; un sentiment d’un effet plus puissant, qui intéresse autrement le bien-être de l’agent, celui de l’approbation et de la désapprobation de la généralité des membres de la société, s’y ajoute ; et enfin celui de l’approbation ou de la désapprobation de l’agent lui-même y prend place. Il est très-intéressant de voir comment se forme ce dernier.

Patient, en même temps qu’autrui, de l’acte d’un tiers, l’homme