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OBSERVATIONS & DOCUMENTS


DE LA CONTINUITÉ ET DE L’IDENTITÉ

DE LA CONSCIENCE DU MOI

Dans la livraison de Mars de la Revue Philosophique, M. H. Taine donne une longue citation de l’ouvrage du Dr Krishaber sur une maladie des centres nerveux qui altère sensiblement la cénesthésie des malades et a pour conséquence une métamorphose plus ou moins complète de l’idée qu’ils se font de leur moi. M. Taine pénètre sans hésiter toute la portée psychologique de ce fait et il en conclut « que le moi, la personnalité morale, est un produit dont les sensations sont les premiers facteurs, et ce produit, considéré à différents moments, n’est le même et ne s’apparaît comme le même que parce que ses sensations constituantes demeurent toujours les mêmes. Lorsque subitement ces sensations deviennent autres il devient autre et s’apparaît comme un autre ; il faut qu’il redevienne le même et s’apparaisse de nouveau comme le même. »

Cette conclusion n’est pas nouvelle pour la physiologie, qui va même un peu plus loin et qui prétend que, comme la cénesthésie ne redevient jamais exactement la même, le moi ne le redevient pas non plus ; en d’autres termes, que ce qui a lieu dans la névropathie cérébrocardiaque n’est qu’une exagération de ce qui a constamment lieu à l’état normal.

C’est un fait incontestable que nous avons tous le sentiment de l’existence en nous d’un être unitaire, distinct de nos sensations périphériques ou centrales, qui les perçoit toutes, comme une espèce de spectateur indépendant du panorama psychique ; il s’agit de savoir si le moi, qui ne manque jamais de se personnifier ainsi, se réduit tout entier à cette personnification purement linguistique qui ne dénote qu’une forme spéciale de la cénesthésie, ou bien s’il est