Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, II.djvu/386

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
376
revue philosophique

dans le sens large de l’expression ; constituée par des éléments dont la plupart ont une origine externe, elle renferme le moi intellectuel et moral, tout ce qui donne une empreinte individuelle aux connaissances, aux opinions, aux passions, aux sentiments, aux désirs, aux volitions de l’individu, et par conséquent à ses actes, à sa conduite. De plus, au milieu de cette phalange même, il y a un noyau encore plus compacte, encore plus cohérent, qui est en général inexpugnable, à peu près inaltérable, qui ne souffre la suppression de l’un de ses membres que pour le remplacer immédiatement par un autre équivalent ou identique, ce qui lui est facile car il est constitué d’éléments qui ont presque tous une origine interne et qui par conséquent se renouvellent sans cesse ; ce noyau est l’individualité psychique dans le sens restreint du mot, c’est-à-dire le sentiment d’unité et de continuité de la même unité qui nous accompagne, pendant toute la vie, et que nous appelons notre moi[1].

L’unité et la continuité du moi psychique ne sont nullement mises en danger par cette manière de voir, comme le prétendent nos adversaires, — pas plus que ne le sont l’unité et la continuité du moi physique par le fait de l’incessant échange de matériaux entre l’organisme et le monde extérieur. Mais nous parlons, bien entendu, de son unité et de sa continuité en tant qu’elles existent réellement ; demandons-nous donc jusqu’à quel point existent-elles réellement.

Selon le préjugé populaire la conscience du moi accompagne constamment toutes nos pensées et tous nos actes, et ne s’interrompt que pendant le sommeil profond sans rêves, ou pendant l’évanouissement ; mais l’observation attentive de nous-mêmes ne confirme point ce préjugé. En effet, une impression violente, physique ou morale, nous absorbe si complètement et s’empare si bien de tout le centre sentant que des impressions qui à tout autre moment eussent éveillé notre attention, passent inaperçues ; le sensorium ne donne plus audience aux nouvelles images qui se présentent, toute la conscience est prise par la pensée prédominante, à tel point qu’à côté de. celle-ci il n’y a plus de place pour aucune autre, — pas même pour celle du sujet qui la subit ; pendant ce temps la conscience de nous-mêmes est donc interrompue[2].

Il est vrai que plus tard nous nous souvenons que c’est nous qui avons eu cette impression ; nous sortons d’une espèce de rêve sans sommeil, — mais alors nous ne sommes plus sous l’empire de l’im-

  1. V. Griesinger, Traité des maladies mentales, traduit par le Dr Doumic, Paris, 1865, p. 25 à 67.
  2. V. M. Schiff. Article Cénesthésie, dans le Dizionario delle scienze mediche, Milan, 1874, vol. I.