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l’image du moi agissant, en différentes positions, dont nous contemplons l’effet, évoqué en nous par une série de sensations réflexes ; il en est ainsi toutes les fois que la sensation nommée volonté fait partie de la pensée, car c’est le moi en action qui est alors l’objet de la pensée, il la constitue toute entière, de sorte que si cette pensée venait à cesser sans être immédiatement remplacée par une autre, la conscience du moi cesserait avec elle, et il ne resterait rien du tout : notre activité intérieure, notre individualité, auraient disparu ; c’est ce qui arrive au moment où une syncope arrête le mouvement moléculaire fonctionnel propre à la masse cérébrale. Généralement la pensée dont le moi faisait partie est remplacée par une autre, impersonnelle ; après avoir réfléchi aux manipulations de l’expérience, nous en considérons de nouveau les conséquences, et alors l’individualité s’efface de nouveau, le moi disparaît.

L’idée du moi n’est donc point un élément aussi constant de la conscience que l’on est porté à le croire ; mais comme elle est très-fréquente, et même la plus fréquente de toutes, puisqu’elle est à chaque instant évoquée par l’action réflexe et imposée aux pensées qui se suivent ; comme l’action réflexe n’a point d’habitude plus constante et plus invétérée que celle de compléter le moi, en esquissant rapidement son image totale dès qu’une sensation quelconque évoque l’image de l’une de ses parties ; comme il est presque inévitable qu’une légère indication de la totalité n’accompagne toute image partielle (comme les sons harmoniques, qui constituent l’accord complet, accompagnent le son produit par les vibrations de l’une des cordes isolément) ; comme enfin l’image totale est presque toujours à peu près la même, tandis que les images partielles se suivent et ne se ressemblent pas, — il est naturel que l’image totale prédomine dans l’esprit de ceux qui ne sont pas habitués à s’observer attentivement, et produise l’illusion d’une continuité qu’elle est loin d’avoir.

Ainsi, le moi peut quelquefois être complètement absent de la cénesthésie ; celle-ci peut au contraire être quelquefois constituée tout entière par une image partielle du moi ; elle ne prend le caractère de véritable conscience du moi que lorsque l’image totale de nous-mêmes est l’un des facteurs principaux des pensées qui nous préoccupent.

La conscience du moi n’est donc pas autre chose qu’une forme inconstante de la cénesthésie elle-même ; or, la cénesthésie étant le produit de toutes les sensations présentes et passées, il est évident qu’elle ne peut jamais être identique à elle-même ; et par conséquent le moi ne peut pas l’être non plus ; mais ordinairement il se main-