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analyses. — renan. Dialogues philosophiques.

qu’il ait écrites. Le mot de Diagoras, si heureusement rappelé, sur l’illusion des simples, dupes des ex-voto, les traits excellents contre le préjugé superstitieux qui attribue à la colère divine les cataclysmes terrestres, les tremblements de terre, par exemple ; une phrase comme celle-ci, à propos des éruptions de l’Hékla : « Il y a des pays bien moins moraux que l’Islande et qui ne tremblent jamais, » tout ce passage, d’ailleurs très-court, est de la langue la plus svelte, le pur style de Candide.

« Est-ce là toute votre théologie ? » demande Eudoxe. S’il en était de la sorte, je conviendrais que M. Renan n’a daigné se souvenir de Platon, que pour se permettre l’ironie socratique. Mais, à côté de cette certitude étrangement négative, il en est une autre. Comme Hume, M. Renan exclut le surnaturel : comme lui, de même, et comme Kant, il croit au divin. Quelle divinité ? Il n’est pas aisé de le décider. Voici pourtant, à peu près, comme il est permis de se représenter une croyance si fugitive, et qui se fait un mérite de rester insaisissable. Le grand œuvre du xviiie siècle, chacun le reconnaît, a été la morale : Hegel l’a indiqué d’un mot, en disant que les maîtres de ce temps. Hume, Rousseau et Kant avaient, au Dieu mécaniste du siècle précédent, substitué un Dieu moral. Hume, par lassitude spéculative et indulgence sociale ; Rousseau, par chaleur d’âme et indignation contre l’injustice, où qu’elle fût ; Kant, par rigueur dogmatique et stoïcisme d’humeur ; tous trois, avec des mobiles si divers concluaient au même Dieu : le bien, le devoir. La philosophie, dite critique, repose sur deux principes : le doute en métaphysique, la croyance en morale. Tels étaient précisément les deux sentiments qui ont donné à M. Renan l’accès de la philosophie. Mais sa pensée ne les a reçus que pour les marquer à une subtile empreinte. Il lui a semblé d’abord que si la plus haute réalité ou peut-être le plus haut idéal de l’univers était le bien, toutes les idées sur la nature devraient être aussitôt transformées, et subir le contre-coup de la révolution survenue en théologie. Ce que Kant lui-même avait esquissé, ou du moins prévu dans la Méthodologie de la Raison pure, à savoir une cosmologie, dominée non plus par des axiomes mécanistes, mais par des postulats de morale, d’esthétique, de finalité, M. Renan s’y arrêtait, et cette complaisance l’inclinait presque fatalement vers la philosophie de Schelling. À cette disposition, qu’il ait ou non pratiqué la métaphysique du romantisme allemand, il a dû la première tendance qui se retrouve dans son œuvre présente : le goût de je ne sais quelle finalité bâtarde, vaguement rajeunie par les formules de l’évolution, ou la poésie du darwinisme. Mais outre que dans Kant il a de bonne heure retrouvé Schelling, il se rencontrait aussi, pour l’interprétation profonde et décisive de la Raison pratique, avec un maître très-différent, Schopenhauer, et, par suite, sa propre pensée se colorait d’une teinte nouvelle. Pour qui presse les termes de l’éthique kantienne, toute la déduction des idées de devoir se fonde sur une prétendue différence entre les catégories spéculatives et les catégories pratiques. La raison est dirigée