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Paul tannery. — la géométrie imaginaire.

Je considère comme incontestable qu’elles ébranlent fortement un des principaux dogmes de l’école critique et la formule de Kant : L’espace est la forme à priori du sens extérieur.

Pour s’en convaincre, il suffit de remarquer avec quelle vigueur M. Renouvier[1] prend l’offensive contre les novateurs. Quoique je doive reproduire la substance de ses arguments et de ses conclusions, j’essaierai de porter la question sur un terrain quelque peu différent.

Il s’agit de savoir comment la notion d’espace peut se trouver dépendre de ce nombre k, de cette constante déterminable seulement par une expérience à posteriori. D’où vient ce nombre’ ? pourquoi aurait-il telle valeur plutôt que telle autre ? comment pourrait-il varier ?

Des trois termes distincts qui concourent pour la formation de tout concept, — le moi intelligible, les sens, le non-moi intelligible, — le premier est certainement hors de cause.

Admettre que les deux autres termes restant les mêmes, celui-là puisse changer, et qu’il en résulte une variation dans les phénomènes, c’est nier toute science, infirmer tout raisonnement. Ce moi intelligible n’est pas distinguable de l’élément d’identité et de permanence qui entre dans tous nos concepts, qui joue son rôle dans toutes nos déductions. On ne peut, en aucune façon, prétendre à lui enlever son caractère essentiel.

Pour les sens, il est également possible de les éliminer.

Nous n’en sommes pas à l’hypothèse déjà célèbre de l’être linéare ou superficiel qui n’aurait l’idée que d’une ou deux dimensions de l’espace. Nous manquerions alors de tout élément pour discuter la possibilité de l’hypothèse. On nous donne un être dont les sens sont tels qu’il admet tous les axiomes explicites ou implicites d’Euclide, moins le postulatum.

Dans ce cas, il est clair que la valeur qu’il pourra effectivement trouver pour le nombre k dépendra de ses sens. Ainsi ce nombre est pour nous plus grand que toute quantité que nous pouvons mesurer en fait ; si notre front atteignait Sirius, nous pourrions peut-être lui assigner une certaine valeur ; si nous allions jusqu’à la nébuleuse du Cygne, nous obtiendrions probablement une valeur différente, plus approchée de la véritable[2]. Mais cette véritable valeur en elle-même ne peut dépendre aucunement de nos sens.

Construisons par la pensée un triangle rectangle, dont nous nous donnions les côtés de l’angle droit ; les principes relatifs à la ligne

  1. Renouvier. Essais de critique générale, 1er essai, tome II, 2e édition.
  2. D’où le terme de géométrie astrale.