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On conçoit qu’il puisse naître ainsi chez un animal autant d’organes qu’il y a d’espèces de mouvements physiques. Ainsi, par exemple, du côté du corps tourné vers la lumière, on admettra sans peine qu’il se forme un organe spécialement sensible aux ondes lumineuses ; et il se formera de même des organes sensibles aux ondes sonores, aux vibrations chimiques des atomes (odeurs et saveurs), aux rayons de chaleur, etc. Imaginons que nous assistions à la formation d’un organe auditif et qu’une onde sonore dont les molécules exécutent mille vibrations par seconde viennent frapper les molécules du corps. De celles-ci les unes ont, par supposition, un mouvement naturel de 1000 à la seconde, les autres de 700, les autres de 950. Voici ce qui se produira : l’onde ébranlera celles de la première espèce, ne parviendra pas à ébranler les secondes et modifiera la constitution des troisièmes. En un mot, l’onde se propagera suivant les lignes de moindre résistance. Elle n’ébranlera pas les molécules n’ayant que 700 vibrations parce que le mouvement commencé sera à chaque instant arrêté, comme quand un sonneur maladroit essaie de mettre une cloche en branle.

La spécificité de l’organe aurait donc pour origine la spécificité de la cause extérieure. Désormais il fournira toujours une sensation de même nature, quelle que soit la cause qui l’ébranlé. Des trépidations produites par le roulement d’une charrette, les unes, celles transmises au sol, intéresseront le toucher, les autres, celles transmises à l’air, intéresseront l’ouïe ; elles nous procureront donc, les premières, des sensations tactiles, et les secondes, des sensations auditives ; la même cause extérieure donnera lieu à des effets différents. En retour, la lumière ou un choc violent sur l’œil nous fournissent des sensations lumineuses ; ici de causes diverses sortent des effets semblables.

Telle est, dans ses linéaments principaux, la théorie de l’énergie spécifique des nerfs, théorie fort ingénieuse, mais contre laquelle ont été dirigées des objections sérieuses. On lui oppose une autre manière de voir d’après laquelle les nerfs seraient indifférents aux divers modes de mouvements ; le triage des sensations ne serait point effectué par eux, mais par les organes périphériques, dont l’origine serait due à la variabilité de l’animal, dirigée par la sélection mutuelle. Nous ne pouvons entrer ici dans l’examen détaillé de ces systèmes ; mais il est juste de dire que les objections dirigées contre l’énergie spécifique des nerfs ne font que déplacer certaines difficultés, et qu’elles laissent subsister la plus grande partie de la théorie de M. Delbœuf, et à plus forte raison de M. Herbert Spencer, beaucoup plus complète et mieux élaborée.