Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, II.djvu/508

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
498
revue philosophique

la substance à l’accident, le réel au possible, la forme à la matière. Dans l’investigation positive des choses on se trompera souvent si l’on oublie la valeur toute subjective de ces notions. Certains matérialistes tombent en sens contraire dans la même erreur qu’Aristote : ils considèrent la matière, qui pour nous n’est qu’une pure abstraction, comme la substance des choses et ils tiennent la forme pour un simple accident.

La psychologie d’Aristote repose aussi sur l’erreur que nous avons appelée fondamentale, sur l’illusion de la possibilité et de la réalité de l’être. Il définit l’âme la réalisation d’un corps organisé qui a la vie en puissance : a L’âme, dit-il, est la première réalité parfaite d’un corps naturel ayant la vie en puissance, d’un corps qui a des organes », ψυχή ἐστιν ἐντελέχεια ἡ πρώτη σώματος φυσιϰοῦ ζωὴν ἔχοντος δυνάμει τοιούτου δὲ ὃ ἂν ἦ ὀργανιϰόν. Ainsi c’est du dehors que vient ce qui fait passer à acte ce qui n’était qu’en puissance dans le corps organisé. Ajoutez que, comme il n’y a dans la nature que des réalités, toute chose prise en soi est une entéléchie, si bien que parler d’une chose et de son entéléchie c’est commettre une tautologie. Au contraire c’est une théorie profonde que celle du Stagirite qui, considérant l’homme comme le terme le plus élevé de la série organique, voit réunie en lui la nature de tous les êtres inférieurs, des plantes (nutrition, âme et vie végétatives) et des animaux (sensation, mouvement, désir, âme et vie sensitives). Ce qui le distingue, c’est l’âme rationnelle, le νοῦς. Telle est l’origine de nos idées d’âme, d’esprit, de raison et de force vitale. La distinction des trois âmes de l’homme n’était évidemment que subjective chez Aristote. La forme de l’homme qui réunit en lui toutes les formes inférieures de la vie, voilà l’âme. Mais la doctrine du νοῦς immortel et séparable, — du νοῦς ποιητιϰός, — est devenue une source intarissable de vaines et dangereuses imaginations, entre autres du monopsychisme des Averroïstes et de la doctrine scholastique de l’immortalité de l’âme. On ne peut pourtant se flatter de connaître ici la pensée véritable d’Aristote. Les contradictions fort graves du Stagirite, dues certainement au mode de rédaction et de transmission de son œuvre, ont été relevées dès l’antiquité par tous les historiens critiques de la philosophie. Plus on connaît Aristote, mieux on se persuade que la doctrine d’une âme immortelle et d’un dieu transcendant tient à peine au système : on l’en pourrait détacher sans léser l’unité organique de la philosophie d’Aristote. Nous considérons en particulier comme n’étant pas authentique le xiie « livre de la Métaphysique.