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sémitiques ont dominé chez les peuples de la même race, ou parmi les nations aryennes et touraniennes, subjuguées par le dogme ou par l’épée, partout l’ignorance, le fanatisme et le plus abject abaissement de la raison ont fermé les écoles des philosophes, dénoncé la science comme une hérésie, et brûlé tous les instruments du savoir humain. Rien ne saurait donner une idée de la haine féroce du juif contre la culture hellénique. Le vieux dogme israélite (non d’une très-haute antiquité pourtant) de la création ex nihilo de l’univers par un dieu placé hors du monde et conçu comme un monarque d’Orient, tout-puissant, ombrageux et jaloux, — ce dogme est précisément l’antithèse de la proposition fondamentale du matérialisme, et, ajoutons, de toute science : ex nihilo nihil.

Du moment que le monde a été créé, que ses lois ne résultent pas de la nature des choses, mais de la volonté arbitraire d’un être qui est intervenu et continue d’intervenir par des miracles et d’impénétrables desseins dans ce temple immense de l’univers, qu’il s’est construit pour s’y faire adorer, il n’y a plus ni astronomie, ni physique, ni physiologie, ni sociologie. C’est le règne delà grâce ; le plus ignorant de ce que nous appelons les lois de la nature, s’il plaît au maître, en sait plus long que toutes les Académies. Le dieu se révèle de préférence aux petits et aux humbles. Il s’incarne dans le sein de la pauvre femme d’un charpentier de Nazareth ; il découvre la marche de l’histoire à un pécheur ; volontiers il apparaît à des enfants, à de petites bergères, à de simples filles des champs ; il déroute toutes les connaissances des physiologistes en ressuscitant les morts, et humilie les médecins en guérissant avec l’eau d’une source les lésions les plus anciennes de la sensibilité et du mouvement, les désorganisations les plus avancées des cornes antérieures et postérieures de la moelle épinière. De là sa popularité. Qu’importe que quelques-uns des dogmes du christianisme aient été élaborés par des néo-platoniciens d’Alexandrie, par des docteurs d’une dialectique savante et subtile, capables de discuter avec Celse[1], ou avec Porphyre, et que, sous l’influence du génie aryen, la religion juive de Jésus et de Paul se soit peu à peu transformée en une sorte de polythéisme, en une mythologie compliquée qui rappelle l’Olympe ? Le christianisme, cent fois plus vivant aujourd’hui qu’au temps de Constantin, n’a tant de sève et de force que parce qu’il est resté la religion du peuple, la forme naïve de la conscience populaire éprise d’idéal, la grande école de la véritable fraternité, de la charité et du sacrifice.

  1. Nous avons traduit les principaux passages du Λόγος ἀληθής, de Celse, conservés par Origène, relatifs à la polémique sur la place de l’homme dans la nature. V. la Revue philosophique de septembre 1876, p. 303 et suiv.