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LA PSYCHOLOGIE ETHNOGRAPHIQUE

EN ALLEMAGNE


« Voulez-vous connaître les Grecs et les Romains, disait un philosophe du xxviiie siècle, étudiez les Anglais et les Français d’aujourd’hui. Les hommes décrits par Tacite et Polybe ressemblent aux habitants du monde qui nous entoure[1]. » De nos jours, nous pensons différemment : nous croyons que cette étude abstraite, réduite à quelques traits généraux fait connaître l’homme et non pas les hommes ; nous ne croyons pas que tous les membres de l’humanité aient été jetés dans le même moule et nous sommes curieux des plus petites différences. De là une conception nouvelle en psychologie.

Tant que les naturalistes se sont bornés à une pure description des genres et des espèces considérés — ou peu s’en faut — comme permanents ; tant que les historiens, insoucieux des variations de l’âme humaine à travers les siècles, ont étendu sur tous leurs récits un même vernis uniforme et monotone ; une psychologie abstraite, comme celle de Spinoza ou de Condillac, a dû paraître la seule possible. On n’en imaginait pas d’autre, et lorsqu’un esprit très-raffiné, très-subtil, s’était minutieusement analysé, on disait de lui : il a fait connaître l’homme.

Mais, du jour où l’idée d’évolution s’est introduite dans les sciences de la vie et dans les études historiques, remuant et renouvelant tout, la psychologie en a ressenti le contre-coup. On s’est demandé si cette étude abstraite de l’homme était suffisante ; si elle donnait autre chose que les grands traits et les conditions générales ; si, pour être simplement exacte, elle n’avait pas besoin d’être complétée. Les formes inférieures de l’humanité ont révélé des manières particulières de sentir et d’agir, et l’histoire des peuples civilisés nous a montré des variations dans les sentiments, dans les idées sociales, dans les conceptions morales ou religieuses, et dans la langue qui les exprime.

La psychologie en a profité. Elle occupe, en effet, dans la série des connaissances humaines, une place bien nette entre la biologie qui est au-dessous et l’histoire qui est au-dessus. Car s’il est clair que la sensation, le sentiment et la pensée n’existent que là où il y a

  1. Hume, Essais, VIII.