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ments individuels ; étudiez ces éléments — ce qui est le but de la psychologie — et le tout sera expliqué par là même. C’est là une thèse très-simple, mais qui trompe par une apparence de clarté. S’il était vrai, en effet, que le tout social est autre chose qu’une simple juxtaposition d’individus, si la formation des groupes humains donnait naissance à de nouveaux rapports, à des formes nouvelles de développement ; bref, si le tout n’était pas une somme arithmétique d’unités, mais une sorte de combinaison chimique différente de ses éléments, il faudrait bien admettre que la Völkerpsychologie a un objet qui lui appartient exclusivement. — Et c’est ce qui est vrai. Le tout social diffère autant de chacune de ses parties que les lois de l’économie politique diffèrent des principes d’économie domestique qu’un père inculque à son fils, un maître à son élève. Prenez un seul arbre, dit Lazarus : il constitue un objet d’étude pour le botaniste et le chimiste ; mais plantez 50,000 arbres sur quelques lieues carrées : c’est une forêt ; et cette forêt, comme formant un tout, devient l’objet d’une autre science : l’art forestier — art qui s’appuie sans doute sur la physiologie botanique, mais qui n’en a pas moins un but et des moyens qui lui sont propres.

Le peuple, pris en masse, — dans un assemblée, une fête publique — possède certaines manières d’être que chaque individu isolé n’aurait pas. D’où viennent-elles ? naissent-elles du rapport des individus entre eux ? sont-ce des infiniment petits qui se manifestent, parce qu’ils s’additionnent ? Il n’importe ; ces manières d’être existent à titre de fait. L’histoire nous montre de même combien un peuple peut différer par le caractère des individus qui le composent. « Prenez les Espagnols. Individuellement, ils sont d’une bonté ingénue, comme nous le voyons dans leurs romans ; ils ont de la noblesse et même de la sublimité ; mais comme nation, ils se sont montrés dénués du sentiment de la justice et cruellement féroces. Comme nation, ils ont dévasté et dépeuplé l’Amérique et les Pays-Bas ; ils se sont déchirés eux-mêmes pour des opinions politiques et religieuses. Leur nationalité s’est incarnée dans Pizarre et le duc d’Albe. Une nationalité est donc toute autre chose que l’ensemble de ses membres individuels. » De quelque façon qu’on explique cette différence, elle existe, et par cela seul qu’elle existe la psychologie des peuples a un objet.

Quelle est la nature de ce Volkgeist, de cet esprit d’un peuple qu’il s’agit d’étudier ? — Lazarus et Steinthal répondent en style un peu mystique que « c’est non pas une substance, mais un sujet » ; que c’est « une monade qui pénètre et relie les individus » ; que c’est un « esprit objectif. » En d’autres termes, toutes les fois que des