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extravagantes, nous ne dirons rien. On peut y voir une contrefaçon de la monadologie de Leibniz ou un prototype de la philosophie de la nature de Schelling : c’est plutôt une théorie matérialiste, ou mieux une sorte de naturalisme panthéiste. L*écueil inévitable du matérialisme antique, nous avons eu souvent occasion de le répéter, c’est qu’il attribue à une agrégation d’atomes en soi insensibles, homme ou animal, la sensation et la pensée ; il constate dans le tout des propriétés qui par définition n’existent point dans les parties. Peut-être en est —il réellement ainsi, mais l’entendement humain ne le saurait comprendre. Gassendi n’a pas plus réussi que Hobbes à lever la difficulté en identifiant avec la pensée un genre déterminé de mouvements corpusculaires. Tout le monde admet que la sensation et la pensée ne se manifestent jamais sans mouvements matériels, mais s’il est possible qu’il n’y ait là qu’un fait unique considéré sous deux aspects, interne et externe, il n’est pas impossible non plus que la chose soit plus compliquée. La seule solution consistait à douer du sentiment, comme d’une propriété essentielle, les particules » ultimes de la matière ou atomes : c’est ce qu’essaya de faire Robinet, après Diderot et Maupertuis.

La psychologie de Robinet, à ne la considérer qu’au point de vue des processus de l’organisme, rappelle parfois celle de certains physiologistes de notre temps. Ainsi, de même que les voUtions de l’âme dépendent des ébranlements des « fibres volitives, » tout ce qui existe dans l’entendement humain y a sa raison d’être dans le jeu des « fibres intellectuelles » du cerveau. « Une volition, dit-il, est pour le cerveau le mouvement d’un certain système de fibres ; dans l’âme c’est ce qu’elle éprouve en conséquence du mouvement des fibres : c’est une inclinaison à quelque chose. En effet, le propre du mouvement des fibres volitives est de faire vouloir l’âme, de la porter, de l’incliner à quelque chose. Ce quelque chose est une sensation ou une idée. Ce doit être ce qui produit le mouvement des fibres volitives : or elles ne sont mues que par l’action des fibres intellectuelles et des fibres sensitives. Le jeu des organes intellectuels et sensitifs est soumis à l’action des objets. Cela veut dire que la liberté est déterminée à l’acte par la volonté ; que la faculté de vouloir est elle-même déterminée par celles de sentir et de penser, et celles-ci par les impressions des objets sur les sens. »

Dans ce grand xviiie siècle qui, à en croire la renommée, aurait été en France le siècle de l’athéisme et du matérialisme, je ne trouve qu’un athée déclaré, le baron d’Holbach, et un franc matérialiste, La Mettrie. Diderot, nous l’avons vu, est une sorte de grand prêtre ivre de son dieu, la Nature ; si Lange le veut absolument, nous ac-