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sorte provisoire dont la science devrait actuellement se contenter. Mais nous pensons qu’on peut aller beaucoup plus loin dans l’analyse du plaisir et de la douleur.

Arrivé à la classification des sentiments, Horwicz, suivant l’exemple de la plupart des auteurs qui ont traité cette matière, se contente de classer les différents états de l’âme que le plaisir ou la douleur peuvent accompagner. Il ne fait, par conséquent, que reproduire la classification banale des facultés : sens, imagination, entendement, désir et volonté. Ce n’est point là classer réellement des espèces de plaisir et de peine. Horwicz reconnaît encore ici que cette classification est en quelque sorte un pis-aller, et qu’elle n’est pas à l’abri des objections. En parcourant ensuite les faits agréables ou désagréables de la conscience, il néglige malheureusement presque partout de montrer dans le cas particulier l’application de la loi générale qu’il avait d’abord formulée ; ainsi il ne nous explique pas comment tel ou tel sentiment particulier coïncide avec l’augmentation ou la diminution du fonctionnement d’un nerf.

Ce n’est pas le seul reproche que nous adresserons à l’auteur. Après avoir nettement posé la question, après avoir déclaré qu’il entend par sentiment tout état de plaisir ou de peine, il confond dans le cours de l’ouvrage des sentiments avec des faits d’un ordre tout différent, avec des perceptions (odeurs, saveurs, p. 6), et surtout avec des faits de passion, avec des instincts, des désirs (par exemple l’amour, l’égoïsme, l’orgueil, la pitié, l’amitié, la haine, le mépris,. le patriotisme, le respect filial, etc., p. 17). Ce sont des faits qui peuvent, suivant les circonstances, être accompagnés d’un sentiment de plaisir ou de peine ; mais ce ne sont pas des plaisirs ou des peines. L’amour, par exemple, est une source de jouissances et de souffrances, suivant qu’il est satisfait ou contrarié ; ce n’est donc par lui-même ni un plaisir ni une douleur.

Cette confusion entraîne l’auteur dans plusieurs erreurs. Il parle de l’action directe des sentiments sur le corps, sur les sécrétions, etc. (p. 4). Mais ce qui agit ainsi sur les fonctions, ce n’est pas le sentiment lui-même, c’est le fait dont le sentiment n’est que l’accompagnement. Horwicz croit que le plaisir et la peine sont des mobiles de la volonté et des excitants de l’intelligence (p. 21) ; nous ne sommes pas de cet avis. Les mobiles de la volonté et les excitants de l’intelligence sont des idées, des instincts, des passions ; en un mot, ce sont les fonctions de la substance nerveuse ; ce n’est pas le plaisir ou la peine, qui ne sont que des rapports, des proportions de ces fonctions relativement à une certaine mesure d’activité ou de mouvement.

Horwicz présente les sentiments comme susceptibles d’être représentés, de devenir des objets de l’imagination. C’est encore une opinion que nous ne pouvons accepter. Un sentiment ne peut devenir une idée, une notion. On ne peut représenter que le fait accompagné de sentiment ; et ce qui le prouve c’est que la représentation d’un fait s’accompagne le plus souvent d’un tout autre sentiment que sa production première. On a du plaisir à se rappeler certaines causes de peine ; il