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analyses. — papillon. Histoire de la philosophie.

Le second volume auquel nous devons surtout nous attacher est consacré tout entier à la philosophie du xviiie siècle. La méthode de •Papillon le conduit naturellement à présenter cette philosophie d’une façon nouvelle et absolument originale. La plupart des historiens, préoccupés avant tout de littérature et de politique, mettent uniquement en lumière l’esprit irréligieux et révolutionnaire qui semble animer le xviiie siècle tout entier. Papillon, occupé de métaphysique et de science, en dit à peine un mot. Voltaire et Rousseau sont à peine nommés ; d’Alembert et Diderot restent au premier rang, celui-ci comme auteur de l’Interprétation de la nature et celui-là comme mathématicien. Buffon devient le plus grand homme du siècle, et tout près de lui se placent des inconnus que l’on devrait connaître comme de Béguelin et Guéneau de Montbeillard. Cependant, cette indifférence n’empêche pas notre auteur de juger les systèmes avec une singulière liberté. Dans les œuvres de Buffon, et même dans celles de Leibniz il nous montre l’origine du transformisme, de l’évolutionnisme et de la génération spontanée. Il en parle comme de faits, d’hypothèses scientifiques qu’on doit examiner scientifiquement, sans se laisser troubler par les conséquences plus ou moins nécessaires, plus ou moins éloignées, plus ou moins opposées à telle ou telle école philosophique qu’elles semblent contenir.

Si la mort n’avait pas interrompu Papillon avant qu’il eût achevé sa tâche, son œuvre eût sans doute compté parmi les travaux philosophiques considérables de notre temps. Malheureusement cette œuvre n’est pas seulement posthume, elle est inachevée. Les chapitres sur Descartes, Leibniz, Diderot, Buffon, Gœthe et quelques autres sont des morceaux étendus, développés auxquels il ne manque qu’une dernière révision. Le reste se présente trop souvent sous la forme de simples notes prises d’une main rapide et un peu fiévreuse, à la suite de quelque lecture ou de quelque méditation.

Nous ne devons pas finir sans rendre à M. Charles Lévêque un hommage sincère. Il est vraiment touchant de voir un homme de son âge et de son autorité se faire simplement et pieusement l’éditeur des œuvres d’un jeune homme de vingt-six ans. Il est vrai que Papillon était l’un des plus utiles ouvriers d’une œuvre que M. Lévêque poursuit depuis bientôt dix ans avec une passion véritable, l’union des sciences et de la philosophie spiritualiste. Espérons que M. Lévêque parviendra à remplacer l’utile auxiliaire qu’il a perdu. Le moment est grave en effet. Ou l’École spiritualiste se renouvellera, se rajeunira par l’étude des sciences ou elle disparaîtra. C’est là, comme l’a dit M. Janet, « une de ces vérités qu’il faut se dire à soi-même, si on ne veut pas se les faire dire par d’autres d’une manière plus désagréable qu’on ne le désirerait. »

T. Y. Charpentier.