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substances très-différentes[1]. » Il présuma que les alcalis fixes (potasse et soude) et les terres (chaux, magnésie, etc.), cesseraient d’être comptés au nombre des substances simples, et, en émettant cette opinion, il ajouta : « Ce n’est au surplus qu’une simple conjecture que je présente ici[2]. » Voilà deux grandes vérités relatives aux éléments primitifs des substances chimiques présentées à l’état de soupçon et de conjecture, c’est-à-dire sous la forme embryonnaire de toute vérité : l’hypothèse.

Ce qui prouve jusqu’à l’évidence le caractère hypothétique des classifications, c’est la nécessité absolue des classifications provisoires. Ces classifications sont nécessaires puisque, je le répète, sans classement, toute affirmation générale serait impossible. Elles sont remplacées par d’autres, lorsqu’elles sont reconnues insuffisantes ou fausses. C’est ainsi que les quatre éléments des anciens : la terre, l’eau, l’air et le feu, ont été remplacés par le catalogue considérable de nos corps simples, dont il est permis de croire que le nombre sera réduit par les progrès ultérieurs de la chimie.

Il est des cas où les suppositions relatives aux classes sont susceptibles d’une démonstration immédiate et absolue. L’existence des gaz dont le mélange constitue l’air atmosphérique, et de ceux dont la combinaison forme l’eau, sont des vérités mises hors de doute par les expériences de nos laboratoires. De même, lorsqu’un horticulteur aura obtenu, en semant des graines prises sur une même plante, des variétés que l’on tenait pour des espèces différentes, il aura démontré que ces espèces crues diverses n’en sont réellement qu’une seule. Mais le cas le plus général, soit en physique, soit en histoire naturelle, est que les hypothèses ne sont pas susceptibles d’une démonstration immédiate, mais passent, lorsqu’elles sont vraies, par les degrés d’une probabilité croissante.

À la recherche des classes, succède, dans l’ordre régulier de la science, la recherche des lois. Il est des lois très-simples qui ne sont que la généralisation immédiate de l’observation. Le fait que tous les corps solides ou liquides, à l’état libre, tombent sur le sol, est l’expression du fait général de la pesanteur. Galilée a découvert le mode précis de la chute des corps graves, ou la loi scientifique du phénomène : « les espaces parcourus sont proportionnels aux carrés des temps. y> Il informe ses lecteurs qu’il a découvert cette loi par la raison, et qu’il l’a vérifiée par l’expérience[3]. L’emploi de la raison

  1. Journal d’expériences de Lavoisier, à la date du 14 février 1774. Voir Hoefer, La Chimie enseignée par la biographie de ses fondateurs, p. 85.
  2. Traité de Chimie, tome ii, page 194 de la 3Me édition.
  3. Postille al libre del Rocco. — Voir Conti, Storia della filosofia, tome ii, page 339.