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Ch. lévêque. — françois bacon métaphysicien.

les détours et les longueurs de l’expérience… Or le meilleur moyen pour atteindre ce but, c’est de rassembler et de réunir les axiomes des sciences en les ramenant à des axiomes plus généraux, lesquels comprennent tous les objets individuels[1] » À la page suivante, cette science des. axiomes est expressément élevée au premier rang, parce qu’elle a la puissance de soulager l’esprit humain accablé par la méthode et la diversité des choses, et de réduire peu à peu la pluralité à l’unité. « Or, cette science, conclut Bacon, il est évident que c’est la métaphysique. Quam liquet esse metaphysicam. » De ces passages, dont le sens est clair comme le jour, il résulte que, d’après Bacon, la philosophie première n’est pas du tout la métaphysique, et qu’un peu plus loin elle est tout à fait la métaphysique. Lequel des deux est le vrai ? N’est-il pas à propos de répéter le mot de M. Gh. de Rémusat : « Bacon ne se rend pas compte de tout ce qu’il avance[2]. »

Encore une fois, l’intention n’est pas douteuse : il annonce à haute voix qu’il va régénérer, réorganiser la science suprême, celle qui règne sur les autres. L’avortement de ce vaste dessein n’est pas douteux non plus. Dans le même ordre d’idées. Bacon a un autre projet qui se lie étroitement au premier : il préconise la conciliation nécessaire, ou, comme il dit, le mariage de la raison et de l’expérience. À quelles conditions s’est accompli ce difficile hyménée ? Peut-on dire que l’un des deux conjoints n’ait embrassé l’autre que pour mieux l’étouffer ? Enfin est-ce la raison qui a été sacrifiée ?

En haine de la scholastique. Bacon a dit : « Rejicimus igitur syllogismum. » Il a répété cet arrêt maintes fois : sans contredit, il est l’adversaire déclaré de la méthode exclusivement syllogistique dont le moyen-âge avait tant usé, ou plutôt tant abusé. Sans contredit encore, il livre une guerre acharnée à cette physique imaginaire, fantastique, que l’on déduisait de principes généraux une fois posés ou acceptés en dehors de toute vérification par l’expérience. Et quand Aristote lui paraît être l’auteur, disons le fauteur, la personnification fatale du syllogisme stérile, de la physique arbitraire et de l’induction mal fondée et mal conduite, oui, alors, c’est contre Aristote qu’il dirige ses traits. Aussi souscrivons-nous à l’opinion de M. Kuno Fischer lorsqu’il dit que Bacon opposait à l’Organum d’Aristote son propre Organum, et cela en vue d’une double fin ; car il voulait combattre la logique d’Aristote par l’expérience, et l’expérience aristotélique qu’il assimile à l’expérience vulgaire, par l’expérience mé-

  1. De Augmentis, liv. III, ch. IV, édit. n. Douillet, t. I, p. 190.
  2. Bacon, sa vie, son temps, etc., p. 387.