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ANALYSESswientochowski. — Lois morales.

Ainsi les lois morales sont le résultat d’une évolution prolongée des penchants naturels de l’homme. Les penchants égoïstes, qui préexistent à tous les autres, déterminent par leurs conditions d’équilibre les conditions d’existence de chaque agglomération sociale. L’équilibre une fois établi, ces conditions plus ou moins préjudiciables à quelques-uns sont érigées avec le temps en principes sociaux obligatoires ; ce qui n’était d’abord qu’une défense appuyée sur la force devient un devoir pour les générations suivantes. L’habitude fait le reste. Ainsi s’est établi dans la famille le droit du plus fort ; ainsi les esclaves de la vingtième génération trouvent eux-mêmes leur sort supportable. Donc tout rapport de l’individu à la volonté d’un groupe social, qui triomphe des autres formes de cette volonté générale et devient définitif au bout de quelques générations, sert de fondement à une règle morale.

Pour prévaloir, les penchants altruistes de chaque individu doivent eux aussi entrer en balance avec les penchants égoïstes ou altruistes du groupe social. Ce n’est qu’à la longue, et après avoir triomphé de toutes les résistances, qu’ils deviennent la règle, si toutefois ils rencontrent des conditions de développement favorables. D’une génération à l’autre l’hérédité physiologique ou psychique prépare les voies, et l’individu est forcé par l’éducation, par la coutume, par le langage et par la religion, de s’adapter à son milieu.

En définitive toute loi morale est l’expression des sentiments conscients ou inconscients d’un groupe social, dégagés et mis en lumière par un interprète, ou bien l’œuvre propre d’une personnalité supérieure qui a su faire triompher sa volonté, égoïste ou altruiste. Les lois morales en très-petit nombre, qui se retrouvent identiques à toutes les époques et dans toutes les sociétés, expriment ce qu’il y a de primitif et d’essentiel dans tout organisme social, ce qu’il y a de permanent et d’indestructible au fond du cœur et de la volonté de l’homme.

A. Debon.