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sensation qui fussent entre elles comme les poids. L’âme ne juge pas en comparant ses sensations, mais d’après la différence de ses sensations. Quand le chasseur estime qu’un lièvre est à mi-chemin entre un arbre de la plaine et lui, il ne rapporte pas la sensation de la première distance à la sensation de la seconde distance, et ne se dit pas que la première sensation est la moitié de la seconde : c’est là un langage qui n’a. pas de sens. Et puis, en supposant même que la sensibilité fût une espèce de microcosme, on n’aurait pas davantage expliqué les rapports de l’âme et’du corps. Croit-on d’ailleurs qu’il y ait au fond autant de différence que M. Hering semble le dire entre la manière dont nous évaluons une distance et celle dont nous évaluons les poids ? Le chasseur énonce la distance en pas ou en portées de fusil, le porte-faix évalue les poids en kilogrammes, et un employé de la poste en grammes. Que les gens peu exercés se trompent grossièrement à cet égard, ce n’est pas là ce qui doit nous toucher. Je reviendrai d’ailleurs plus tard sur ce sujet. Ces restrictions faites, j’admets pleinement la conclusion de Héring : à supposer que la loi de Weber concernant les distances et les poids fût exacte, elle ne pourrait être rapprochée de la loi musicale.

Passons à la première loi de Fechner ainsi formulée : la sensation croît suivant le logarithme de l’excitation. Fechner regarde cette loi comme renfermée implicitement dans la loi de Weber concernant les plus petites différences, et cette déduction lui paraît si claire qu’il ne se donne pas la peine de la démontrer. Il appartenait à M. Hering de faire voir que cette identité n’est rien moins que constatée, bien plus, que les deux lois sont complètement indépendantes l’une de l’autre. En effet, que dit la loi de Weber ? Si une ligne ou un poids vient à s’augmenter, l’accroissement ne deviendra perceptible que lorsqu’il aura atteint une certaine fraction — toujours la même — de la valeur totale de la ligne ou du poids. Ainsi lorsque deux lignes, l’une de 50 millimètres, l’autre de 50 centimètres, s’allongent en même temps, je ne m’apercevrai de l’accroissement que lorsque la première sera de 51 millimètres, et l’autre de 51 centimètres. Un poids de 30 grammes me paraîtra plus lourd du moment où il aura par exemple, atteint 31 grammes ; et un poids de 3000 grammes ne m’imposera un jugement semblable que s’il monte jusqu’à 3100 grammes.

La loi de Fechner implique cette conséquence, mais elle en implique une autre tout-à-fait inattendue et à coup sûr inadmissible. Supposons, en effet, que ces deux lignes de 50 millimètres et de 50 centimètres croissent en même temps par minima perceptibles de manière à atteindre l’une 100 millimètres et l’autre 100 centimè-