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pas à l’esprit une idée bien nette de ce que peut être la quantité d’une sensation, ni comment, par conséquent, elle peut être représentée par un nombre[1]. D’un autre côté, les résultats théoriques de cette loi étaient en contradiction avec les faits. Toute autre considération mise à part, elle ne pouvait avoir qu’une exactitude approximative, et encore entre certaines limites. Comme il a déjà été dit, la loi conduisait notamment à cette conséquence que la lecture d’un écrit devait être également facile à tous les degrés de lumière, par le clair de lune, pendant le jour, en plein soleil. Un moyen de parer à une partie de ces inconvénients, c’était d’ajouter à l’excitation extérieure, l’excitation physiologique des organes. Toute excitation extérieure agit sur l’âme en se transformant en excitation physiologique ; ce n’est pas la lumière qui affecte l’âme, mais la modification du système nerveux, de la rétine, si l’on veut, sous l’action de la lumière. Mais la rétine n’est pas en elle-même une surface inerte ; avant qu’elle reçoive l’action des rayons lumineux, elle est déjà soumise à une action physiologique, résultat de la vie même de l’individu ; l’action physiologique produite par la lumière extérieure vient s’ajouter à cette cause interne, et c’est leur somme qui doit être considérée comme la véritable source de la sensation. Cette simple addition faisait disparaître en grande partie, sinon toutes les difficultés purement mathématiques, et expliquait la fausseté de la loi dans les limites inférieures (au moins pour la lumière), et de plus ses irrégularités dans les limites moyennes.

M’occupant ensuite de l’insuffisance de la loi aux limites supérieures, je disais ceci en substance : « Toute excitation, outre qu’elle procure une sensation, a pour effet d’altérer l’organe, de sorte qu’une excitation subséquente tombe, non sur le même organe, mais sur un autre organe plus ou moins affaibli. On conçoit, dès lors, que l’excitation croissant, l’organe se paralyse de plus en plus, et se trouve, à un certain moment, tout à fait incapable de réagir. Donc, parallèlement à la loi de la sensation, doit concourir une autre loi, la loi de la fatigue et de l’épuisement. » Cette dernière loi a une physionomie toute différente de la première. Pour que les accroissements de sensation soient égaux, il faut que les accroissements d’excitation soient de plus en plus grands, tandis que pour les accroissements de fatigue, au

  1. Ces obscurités de la formule avaient frappé un spirituel mathématicien français qui n’a pas fait connaître son nom, et qui publia ses objections dans la Revue scientifique. M. Wundt et moi nous lui avons répondu ; il répliqua, je ripostai, et la polémique en resta là. Cependant, bien que j’aie essayé de faire bonne contenance, mon contradicteur a dû se dire que je lui donnais raison sur les points principaux (voir année 1875, nos des 13 mars, 24 avril et du 15 mai).