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delbœuf. — hering et la loi de fechner.

s’adaptent plus ou moins vite à l’excitation qu’ils reçoivent, mais on conçoit, sans plus de commentaire, combien dans ces conditions il est difficile de vérifier la loi de Fechner dans sa pureté. S’il s’agit de lumière, on a à chaque instant devant soi, pour ainsi dire, un autre œil, parce qu’il se modifie suivant la quantité de rayons qui l’impressionne, et qu’il peut même se fatiguer ou se blesser, comme il a été dit, si l’excitation sort de certaines limites. Si dans mes expériences la loi s’est vérifiée de manière, peut-on dire, à la mettre hors de doute, c’est qu’elles avaient lieu à des lumières sensiblement les mêmes, peu propres à fatiguer l’œil, et dans des conditions, autant que possible, identiques. Et encore ne pouvait-on se mettre complètement à l’abri de circonstances perturbatrices.

En même temps les sensations de chaleur et de froid m’ont suggéré une série de réflexions beaucoup plus graves, parce qu’elles intéressaient mes formules et les accusaient d’impuissance. Le sens de la température a cela de particulier qu’il fournit deux espèces de sensations opposées, celles de chaud et de froid, selon que la température qui vient agir momentanément sur lui est plus ou moins élevée que celle à laquelle il s’est accommodé. On éprouve une sensation de chaleur si l’on verse un peu d’eau chaude dans un bain trop froid ; en revanche, c’est une impression de froid qu’on ressent si l’on mêle un peu d’eau froide à un bain même beaucoup trop chaud. Comme il y a de sérieuses difficultés à admettre qu’il y ait un agent du froid et un agent du chaud, force m’a été de remanier à cet égard toute la théorie de la sensibilité. Entrant dans une nouvelle voie, et faisant subir une modification profonde à la notion de l’excitation physiologique et du maximum de pureté de la sensation, j’ai dégagé les trois lois suivantes qui dominent tous les phénomènes de sensibilité proprement dite.

Loi de la dégradation de la sensation. La sensation va en s’affaiblissant à mesure que l’excitation — constante — continue à agir. Quand on plonge la main dans l’eau, la première sensation de chaud ou de froid est la plus vive, quand on quitte un lieu éclairé pour un autre, d’un jour différent, l’impression d’éblouissement ou d’offusquement ne dure qu’un temps assez court ; si l’on passe du bruit au silence, ou du silence au bruit, l’étonnement de l’oreille disparaît au bout de quelques instants ; on s’accoutume à une atmosphère chargée de particules odorantes, et réciproquement. Ce phénomène est dû à ce que la matière nerveuse tend à se mettre à l’unisson avec la matière excitante. On peut conclure de ce fait général que la sensation est due à une différence d’équilibre entre la force propre de l’organe, son état vibratoire momentané, et la