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rellement l’identité du produit qui se renouvelle dans chaque acte ; mais puisqu’à chaque acte de l’être un et universel dans la sphère de cet individu concret se forme ce produit de l’individualité, toute action de ce genre est une activité propre de l’individu en question, ou, pour parler plus exactement, de l’être un et universel, en tant qu’il se manifeste dans cet individu-phénomène.

En conséquence, l’individualité et l’activité propre des individus peuvent parfaitement s’expliquer au point de vue moniste ; considérées même à ce point de vue, elles ne sont nullement de simples illusions naturelles (comme l’identité du moi en lui-même), mais elles sont des produits réels de facteurs constants et toujours en état d’agir[1]. L’illusion provient seulement de ce que le produit toujours engendré de nouveau est regardé comme ce qui persiste au milieu du changement des actions, c’est-à-dire de ce que le moi devient une hypostase et remplace à tort, à titre de substance psychique individuelle, la substance absolue qui se manifeste dans l’individu. Ainsi se produit seulement un objet constant, auquel l’amour de soi se rapporte, quand il dirige l’activité vers le moi, au lieu de la diriger vers l’Être un et universel ; et c’est cette illusion de l’indépendance du moi que les Hindous et Schopenhauer désignent par le voile de Maïa[2], lequel semble avoir frappé les yeux de Bahnsen d’un aveuglement incurable. Si l’individualisme de Bahnsen était l’individualisme vrai au point de vue métaphysique, il faudrait absolument admettre la conséquence que l’égoïsme prudent peut seul être la doctrine vraie et pratique. Que Bahnsen nie cette conséquence, cela prouve un cœur noble autant qu’un esprit illogique. Une révision exacte de sa métaphysique à partir de son point de vue éthique, devrait le conduire nécessairement à des résultats diamétralement opposés à ceux auxquels il est arrivé.

    de sa production, de caractéristique qu’elle était devient accidentelle, mais une modification du caractère ou de l’essence individuelle elle-même, à laquelle l’acte succède ensuite d’une façon régulière.

  1. Ces facteurs ne sont en aucune façon purement idéaux, comme Bahnsen le suppose, mais tout-à-fait réels ; ce sont, d’un côté, les actes réels volontaires des atomes constituant l’organisme ; de l’autre côté, c’est la somme d’actes réels volontaires par lesquels la volonté universelle se manifeste dans cet organisme, dans ses fonctions vitales et intellectuelles. L*unité et l’individualité des fonctions, par lesquelles la volonté universelle se manifeste dans l’organisme, tiennent à l’unité et à l’individualité de l’organisme ; mais cette dernière est conditionnée par différentes formes d’unités dont une seulement, mais la plus importante, est l’unité de but.
  2. Les considérations précédentes montrent que pour dissiper cette illusion il n’est nullement besoin d’avoir recours — comme Schopenhauer le croyait encore — à la vérité de l’idéalisme subjectif, mais que le monisme avec la phénoménalité objective des individus, qui y est contenue, rend tout-à-fait les mêmes services.