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du devoir, une sympathie plus vive pour ses semblables, un sentiment plus fort de la justice et un désir du bien plus efficace ? » L’enseignement direct des préceptes moraux n’a pas lui-même de plus heureux effets. La connaissance ne détermine pas la conduite (cognition does not produce action) ; l’ignorance n’est pas, comme on le répète dans les journaux, la cause du crime, elle en est seulement la compagne ordinaire. C’est le sentiment, non la pensée abstraite, qui détermine les actions. C’est sur le sentiment que doivent agir ceux qui veulent rendre une population plus morale. Le sentiment dirige le cours des idées, loin qu’il en dépende. « L’état social existant en un temps donné est la résultante de toutes les ambitions, de tous les intérêts personnels, des craintes, des respects, des haines, des sympathies, etc., qui animaient les ancêtres des citoyens actuels, et animent ceux-ci à leur tour. » Les idées qui ont cours dans cet état doivent être liées à de telles dispositions affectives ; sinon elles n’y auraient pas pénétré, ou en tout cas n’y auraient pas vécu. Quelque empire, par conséquent, que l’on attribue aux idées, il faut reconnaître que les idées elles-mêmes dérivent d’une autre source, à savoir du sentiment. — Il est vrai, répond M. Angiulli ; les désirs et les passions sont la force motrice qui imprime au vouloir, l’impulsion déterminante ; mais la direction de cette force, mais l’emploi de cette impulsion, c’est l’intelligence qui l’indique. Intermédiaire nécessaire entre l’idée et la détermination, facteur important de la conduite humaine, le sentiment ne doit pas être négligé de ceux qui veulent hâter le progrès chez un peuple. Cependant, il serait d’une psychologie incomplète de ne pas voir que le point de départ de toute excitation, le foyer où s’avive et se renouvelle sans cesse la flamme du désir, c’est la représentation. Ce sont les opérations de l’intelligence qui dissolvent les croyances anciennes, élaborent les croyances nouvelles, qui nous montrent des connexions inattendues entre telle ou telle doctrine et nos intérêts les plus chers ou reculent cette autre, désormais indifférente, dans la plus lointaine perspective ; bref notre milieu réel, c’est celui que nous font nos idées, et des sentiments divers s’éveillent en nous suivant que la pensée promène dans une direction ou dans une autre sa lumière révélatrice. Aussi voit-on le nombre des sentiments dont un homme est capable à différents âges, grandir ou diminuer suivant le progrès ou la décadence de son intelligence, et la culture dé l’esprit donner naissance dans certaines régions de la société à tout un monde de sentiments, inconnus ailleurs. M. Angiulli cite à l’appui de sa thèse d’intéressants passages de Lewes et de Luys. Concluons par ces quelques lignes du célèbre physiologiste français : « La vie morale de l’individu, les réserves de la sensibilité intime, de son émotivité, ne se conservent donc à l’état de verdeur et d’intégrité que par l’incessante activité de ses souvenirs, de son intelligence et de la notion consciente des choses du monde extérieur. Là où la mémoire et l’intelligence commencent à faire défaut, là où l’énergie de l’esprit s’émousse, la décadence de la sensibilité morale suit pas à pas les progrès de la déca-