Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, III.djvu/334

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
324
revue philosophique

aucun changement d’une réelle importance dans l’esprit ni dans les preuves et les conclusions de la première et qui est cependant jusqu’à un certain point un ouvrage vraiment nouveau. Elle a été en effet considérablement augmentée par des explications et des éclaircissements relatifs aux théories de l'auteur et par la discussion des différents systèmes de philosophie contemporaine, notamment par l’examen des travaux de l’école anglaise. Les doctrines associationistes, transformistes, évolutionistes de Stuart Mill, Herbert Spencer, Alexandre Bain, y ont été soumises à une critique rigoureuse soit au point de vue de la logique pure, soit au point de vue des méthodes psychologique et scientifique.

M. Renouvier nous donne de précieuses indications sur la marche et le développement de sa pensée philosophique. « Afin d’obtenir pour les idées nouvelles que je tiens à mettre en saillie et qui ont tant de peine non pas même à se faire admettre mais simplement à s’ouvrir un abord chez des esprits universellement prévenus, j’ai voulu, écrit-il, obtenir quelque chose de cette clarté et de cet intérêt qui reviennent parfois aux explications dans lesquelles on sent des personnes et non pas seulement des auteurs. » L’exemple a été donné par Descartes et il est toujours bon à suivre. M. Renouvier s’est d’abord attaché avec la plus grande force au principe de contradiction, comme critère suprême de tous les jugements possibles. De plus il croyait aux antinomies de la raison, « dernière ressource, dit-il, dont je m’étais fait une habitude pour me dispenser d’apporter, dans la croyance de ce que je pensais croire, la fermeté, l’intrépidité logique qui exclut toutes les formes de propositions contradictoires. » C’est dans cette disposition d’esprit qu’il a écrit son article Philosophie dans la revue de Pierre Leroux et de Jean Reynaud.

Son initiateur, celui qu’il appelle son maître, a été Jules Lequier, un de ses anciens camarades de l’École Polytechnique. Les fragments philosophiques recueillis et publiés avec une pieuse reconnaissance par M. Renouvier prouvent en effet que Lequier était un philosophe de vocation doublé d’un admirable écrivain[1]. Il était trop difficile

  1. La recherche d’une première vérité, Saint-Cloud, 1865, n’a pu être tirée qu’à un très-petit nombre d’exemplaires et n’a pas été mise en vente. Heureusement M. Renouvier a reproduit quelques-unes des plus belles pages de Lequier dans le 2e volume de la Psychologie rationnelle. Qu’on lise, surtout, le fragment intitulé : La Feuille de Charmille : je ne résiste pas à la tentation d’en donner au moins un extrait qui montrera comment Jules Lequier savait allier la force de la pensée à la beauté du style :

    « Il est, dit-il, une heure de l’enfance qu’on n’oublie jamais : celle où l’attention venant à se concentrer avec force sur une idée, sur un mouvement de l’âme, sur une circonstance quelquefois vulgaire, nous ouvrit, par une échappée inattendue, les riches perspectives du monde intérieur : la réflexion