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beurier. — philosophie de m. renouvier

au-delà de tout espace donné, un temps au-delà de tout temps donné, une raison suffisante de l’apparente spontanéité phénoménale, une condition et une cause de la cause première. Ainsi la régression finie, limitée, s’impose dans les thèses, la régression à l’infini dans les antithèses. On peut, il est vrai, résoudre les antinomies dynamiques (liberté et causalité] par une synthèse dont le noumène est chargé de fournir les éléments : mais les antinomies mathématiques sont absolument insolubles.

Telle est la théorie de Kant : elle n’est pas faite pour embarrasser M. Renouvier. D’après ce dernier, toutes les antithèses, posant l’absence de limite et par suite de nombre, sont entachées de contradiction, tandis que les thèses sont imposées par l’usage logique de la raison : ainsi, toutes les antinomies sont résolues au nom du principe de quantité sans qu’il soit besoin de faire intervenir, pas plus pour les unes que pour les autres, l’inconnaissable existence des noumènes[1].

Comme on le voit, il est contradictoire, d’après M. Renouvier, d’une part, d’admettre des choses en soi, d’autre part, de nier un commencement des phénomènes, des limites dans l’étendue totale, enfin la spontanéité et la causalité originelles. Dans cette démonstration, il fait intervenir des considérations tirées de la nature des catégories : mais la loi de quantité, que nous examinons seule en ce moment, y est sans cesse, y est plus souvent invoquée que tout autre : elle fait le nerf des raisonnements du nouveau criticisme ; elle leur donne une apparence de rigueur géométrique qui paraît exclure toute objection, tout doute. Eh bien, cette logique mathématique ne me convainc pas absolument sur tous les points. Je me place, comme je l’ai dit, au point de vue même du criticisme. Je remarque d’abord que la « relativité absolue » de la connaissance, si je puis me servir de cette expression, en d’autres termes que l’exclusion de tout noumène n’a pas besoin de s’appuyer sur la loi du nombre, et la preuve, c’est que M. Renouvier, dans la conclusion définitive que nous avons citée plus haut, ne fait pas intervenir ce principe. En second lieu je ferai observer que la régression à l’infini n’enlèverait pas aux faits ou choses leur caractère relatif : seulement dans ce cas, comme un infini donné à la reconnaissance est notoirement contradictoire, il y aurait dans l’infini des faits qui ne seraient pas donnés, qui ne seraient pas représentés. Est-ce que dans l’univers actuel tout nous est connu ? Nous affirmons seulement que rien ne peut être connu qui ne tombe ou ne puisse tomber pour nous

  1. Logique générale, III, 23.