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ici pour rien et alors il n’y a pas d’effort ; ou bien l’organisme est en action, et alors je retrouve toujours une simple sensation qui accompagne et qui mesure en quelque manière cette action de l’organisme.

Enfin, pour indiquer nettement le point qui me laisse un doute dans la théorie de Maine de Biran, je dirai que dans son langage le mot effort me paraît équivoque : tantôt il désigne la contraction musculaire, tantôt la sensation musculaire, tantôt ces deux choses ensemble. Quand on fait disparaître l’équivoque on fait disparaître l’explication, et l’on remet en lumière la difficulté qui consiste à comprendre comment un phénomène psychologique peut être l’antécédent d’un phénomène physiologique ou réciproquement.

Quel est dans ce débat la position prise par M. Gérard ? D’abord, il faut dire qu’il a parfaitement connu l’objection qui vient d’être exposée. Cette objection n’est ni de lui, ni de moi. Elle se trouve, je crois, pour la première fois dans David Hume, en tout cas, elle a été opposée à Maine de Biran par sir William Hamilton. M. Gérard cite en entier le texte de Hamilton (p. 338 à la note.). Mais ce qui importe ici ce n’est pas de connaître l’origine de l’objection, c’est de savoir quelle réponse M. Gérard y fait, puisqu’il semble adopter sur ce point l’opinion de son auteur. Quant à moi, je dois confesser tout l’embarras que j’éprouve. Ce que M. Gérard a dépensé de fine dialectique, d’analyses subtiles, de distinctions ingénieuses sur la question de l’effort est vraiment incroyable. Sans cesse je crois le saisir et toujours il se dérobe. Qu’est-ce pour lui que l’effort ? Est-ce tout simplement l’action de la volonté qui met en mouvement l’organisme ; est-ce la contraction musculaire elle-même ; n’est-ce pas plutôt la sensation musculaire ? Je rassemble les textes, je les compare et je n’arrive à rien qui me satisfasse, jusqu’à ce qu’enfin je trouve ce texte qu’il faut citer en entier :

« Il y a dans le mouvement volontaire cette circonstance capitale qu’on ne peut omettre sans dénaturer entièrement le fait, c’est que la dépense d’énergie nerveuse dont on parle n’a lieu que parce que nous la voulons. Elle ne se fait même pas spontanément par cela seul que nous sommes déterminés à agir. La détermination est comme’un ordre donné ; mais cet ordre n’a pas la vertu du fiat divin, qui est à la fois parole et création. Il ne s’effectue pas tout seul ; il faut une participation expresse de notre énergie personnelle pour donner à l’organisme la première impulsion d’où dépend tout le reste. C’est là précisément ce qui constitue l’effort véritable de la volonté, transition nécessaire de la détermination à l’action, nœud de l’idée et du mouvement, du moral et du physique. Cet effort implique, lui aussi, une résistance ; mais c’est une résistance qu’on ne peut assimiler à celle qu’oppose au mouvement de nos membres un obstacle extérieur, à celle même qui résulte dans certains cas, de l’épuisement du fluide nerveux, devenu impuissante déterminer la contraction des muscles. Elle tient uniquement à l’existence des dispositions naturelles ou acquises d’une activité qu’il s’agit de plier à un emploi nouveau. Aussi est-elle plus passive qu’active ;