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Pour se dispenser d’admettre le temps à titre de forme universelle d’objectivation, a on prend le parti inattendu de considérer un temps abstrait, défini par l’idée de la succession in abstracto. Le temps réel et la loi concrète sont alors remplacés par les expériences particulières, par les cas particuliers de phénomènes mentais classés comme successifs, et on dirige ses yeux pour ne pas voir que dans le propre fait de ces expériences et de ces classements, fait universel, résident précisément la loi et la forme qu’on voulait exclure[1]. »


Le temps et l’espace, irréductibles entre eux, sont également irréductibles à la sensation. Ces formes de la sensibilité, comme les appelait Kant, sont ses lois premières sous lesquelles tout nous est donné dans la représentation. Mais tout ce que nous connaissons sous ces formes originelles ne peut-il pas du moins s’expliquer, ainsi que la connaissance elle-même, par la théorie de la transformation des forces, combinée avec celle de l’évolution ? En d’autres termes, ne pourrait-on pas « réduire toutes les qualités possibles à la force mécanique, dans l’explication du monde, sauf à envisager en même temps cette force sous l’aspect d’une sorte de qualité primordiale qui subit des métamorphoses diverses appréciables pour nos sens, suivant les modes de distribution d’un mouvement de somme invariable entre les parties du mobile universel[2] ? »

M. Renouvier est loin d’être opposé à la tendance mécaniste qui, depuis Descartes et grâce surtout à sa puissante initiative, a enfin prévalu dans la science. Il admet que l’investigation physique a pour but « de chercher et de définir un mouvement dans tout phénomène de son ressort. » Il applaudit aux efforts qui ont été tentés dans ce sens avec tant de succès par Mayer, Joule, Grove, et Helmholtz. Il ne combat pas davantage les diverses tentatives qui ont été faites pour introduire dans la psychologie expérimentale ce mode d’explication. « Il n’est pas absurde, dit-il, de supposer qu’on trouvera l’équivalent mécanique de la conscience. » Mais tout autre chose est de déterminer des équivalents, c’est-à-dire des correspondances, des relations, des « lois fonctionnelles », et d’admettre dans la nature des transformations et des métamorphoses. « L’idée de transformation est la moins scientifique des idées. Ceux qui, sur la foi de

  1. Log. gén., I, 356, 357. M. Renouvier revient encore sur cette discussion dans le 2e volume de la Logique, p. 61 et 62. « L’étrange problème logique (qui se pose aux philosophes anglais) est, dit-il, de montrer comment une expérience quelconque peut expliquer une représentation quelconque dans l’espace ou dans le temps, alors que l’on suppose cette représentation pour comprendre cette expérience. »
  2. Log. gén., III, 127.