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De plus le jour, et surtout l’heure et la minute, sont des fractions trop éloignées de la durée totale de notre vie pour que nous puissions en imagination, les comparer à ce tout, dont elles sont cependant des parties : car, il ne s’agit ici, remarquons-le bien, que d’une durée d’imagination. De même, par exemple, si nous voulons nous donner un sentiment grossier et approximatif du mètre, nous ne le comparerons pas en idée avec la circonférence terrestre dont il est trop éloigné, nous le comparerons à un de nos pas, ou à une portion de notre bras, par conséquent à quelque chose de tout près de nous.

On comprend par ces considérations comment la loi que nous avons posée cesse de s’appliquer quand on veut l’appliquer aux petites durées, qui, parce qu’elles sont tout près de nous, sont d’autant par là soustraites à l’empire de l’imagination. L’action que la loi exerce sur les petites durées est semblable à l’action que la loi de l’attraction universelle exerce sur les petites distances : elle n’est pas nulle ; mais elle est imperceptible, et masquée et absorbée par beaucoup d’autres lois.

En effet, le principe que nous avons posé, à savoir la comparaison de la durée partielle à la durée totale, n’est pas le seul mode d’appréciation de la durée que nous ayons à notre disposition. Il y en a d’autres qui ont été souvent signalés. Par exemple, on sait que le temps passe vite quand on s’amuse ; et très-lentement quand on s’ennuie. Pour un enfant une semaine de travail est très-longue ; une semaine de vacances est très-courte. Le temps est long quand on désire ; il est court, quand on craint. Le nombre des occupations est encore un élément de mesure. Le temps paraît plus ou moins long, selon qu’il est plus ou moins rempli. Un autre élément, c’est la comparaison que nous faisons entre nos états psychologiques, et une durée fixe extérieure connue : c’est ce qui fait, par exemple, que dans le sommeil, où cet élément de comparaison manque, les instants peuvent paraître des années. On peut vivre toute une vie dans un seul rêve. Le théâtre a quelquefois tiré des effets dramatique de ce fait psychologique bien connu.

Nous n’avons pas à développer tous ces faits, souvent analysés, et qui servent à prouver cette proposition que le sentiment de la durée est tout relatif : tout ce que nous voulons dire, c’est que quand il s’agit de petites durées, ce sont ces lois qui exercent tout leur empire, tandis que la loi plus générale posée d’abord n’a plus qu’une très-faible action. C’est pourquoi elle paraît ne plus s’appliquer. Réciproquement, lorsqu’il s’agit de grandes durées, les explications précédentes ne suffisent plus pour rendre compte de la rapidité progressive du temps : car aucune d’elles ne répond à ce fait d’un dé-