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société comme un tout, l’auteur va nous dire quelle idée il se fait de cet être, quelle en est, selon lui, la nature, dans quelles conditions et selon quelles lois il se forme, se conserve et se développe.

« Après avoir pris connaissance des unités sociales, c’est-à-dire des individus étudiés tour à tour dans leur constitution physique, dans leur nature sensible et intellectuelle, dans les premières idées qu’ils acquièrent et les premiers sentiments qu’ils manifestent, la sociologie doit rendre compte de tous les phénomènes qui résultent de leurs actions combinées. »

Ces phénomènes sont innombrables et d’une singulière complexité : organisation domestique, organisation politique, ecclésiastique, industrielle, cérémoniale ; développement du langage, des connaissances, de la moralité, des arts… Tous ces éléments de la vie sociale, tous ces groupes de phénomènes agissent et réagissent les uns sur les autres, se déterminent mutuellement : le but suprême de la sociologie est de faire voir comment, multiples et divers à ce point, ils forment néanmoins entre eux « un consensus, » et font un tout harmonieux. — Pour le comprendre, il faut s’élever à un point de vue d’où on les embrasse dans leur ensemble ; il faut tâcher de trouver certaines « généralisations empiriques » ou lois, qui, les dominant tous à la fois, éclairent chacun d’eux, et en permettent l’interprétation déductive, quand on les considérera tour à tour.

Qu’est-ce qu’une société ? — C’est un agrégat d’individus ; mais non un agrégat accidentel, sans cohésion ni consistance : une société est un être concret, qui subsiste durant des générations et des siècles ; c’est une réalité vivante ; en un mot, c’est « un organisme. »

Cette assimilation d’une société à un organisme, n’est pas de l’invention de M. Spencer, Il reconnaît (p. 612) qu’elle a été indiquée nettement et en excellents termes par Aug. Comte, auquel revient ainsi l’honneur d’avoir fourni l’idée maîtresse des Principes de sociologie. L’originalité du philosophe anglais (et on va voir qu’elle est grande) consiste dans le développement qu’il donne à cette idée et dans l’usage qu’il en fait. Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’il se l’est appropriée : on la trouve exprimée en plusieurs endroits de ses ouvrages[1] ; mais c’est ici qu’il en donne l’exposition complète et systématique, la démonstration régulière. Toute la suite du livre fera voir de quelle importance elle est pour lui, et ce qu’il en tire.

Le premier trait de cette ressemblance est qu’une société s’accroît comme un organisme. Le second est qu’elle acquiert de même, en grandissant, une structure de plus en plus parfaite. « Un animal inférieur, ou l’embryon d’un animal supérieur, commence par n’avoir que des parties homogènes ou à peine discernables ; mais à mesure que sa masse augmente, ses parties deviennent plus nombreuses et plus distinctes. » Eh bien ! une société offre également ces deux mouve-

  1. Notamment dans les Essais, au chapitre intitulé : The social organism.