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Comment les botanistes caractérisent-ils les plus grands arbres ? par le mode de croissance de leur premier germe. L’histoire des humbles commencements de la conscience est encore à faire. Jusque-là il n’y aura qu’une psychologie de convention, bornée arbitrairement à la description d’un moment de la vie psychique, confondant sous le nom de facultés innées essentielles des aptitudes nées d’hier et des dispositions héritées depuis ou dès avant le commencement de la race. Mais à qui veut scruter les couches successives dont la conscience actuelle est formée, la linguistique est indispensable, ainsi que la psychologie morbide et un grand nombre d’autres sciences, tant inorganiques que biologiques.

La statistique, ou physique sociale comme Quételet l’a appelée, tel sera l’auxiliaire le plus puissant de la psychologie expérimentale. De même que la météorologie ne se peut construire, à cause de la durée et de l’étendue de ses phénomènes, que par un vaste ensemble d’observations recueillies pendant de longues années sur tous les points habités du globe ; ainsi la psychologie expérimentale ne s’achèvera que par le rapprochement d’une multitude de phénomènes sociaux exactement mesurés embrassant le plus grand nombre d’années et le plus vaste espace possible.

Bien que se servant de la même méthode que les sciences de la nature et se trouvant entraînée à de fréquents échanges avec elle, la psychologie ne cesse pas d’avoir une existence propre. Il y a place pour une science distincte partout où il y a un groupe de phénomènes irréductibles à d’autres phénomènes. Or les phénomènes de conscience forment précisément l’un de ces groupes. Leur caractère commun est d’être connus par le dedans et rien ne peut remplacer cet attribut essentiel. Après les investigations les plus minutieuses dans le monde des faits extérieurs, c’est toujours à l’intérieur qu’il en faut venir pour interpréter les résultats acquis. Si le télescope est indispensable pour voir certaines étoiles, ce n’est pas à dire que le télescope voie les étoiles. De même les recherches conduites en dehors de la conscience n’ont jamais, quelle que soit leur nécessité, que le rôle de moyens par rapport à la connaissance de la conscience même. La physiologie, par exemple, ne suffirait certainement pas à expliquer les phénomènes psychiques ; à vrai dire elle les ignore, car la forme et le mouvement des cellules ou fibres vivantes ne peuvent par aucune opération logique être transformés en pensées. Même la physiologie emprunte plus à la psychologie que celle-ci à celle-là. C’est le fonctionnement, le but d’un appareil qui explique sa structure, et un physicien comme Helmoltz ne comprendrait rien à l’acoustique sans les sensations musicales produites en lui par les sons combinés. Il y a plus ; en dehors des données propres de la conscience, il n’y aurait pas de problèmes psychologiques. Il faut que le fait de l’association des idées, par exemple, soit d’abord constaté par la conscience pour que le physiologiste trouve là une matière à ses investigations.