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beurier. — philosophie de m. renouvier.

sortes de croyances qui, pour n’être pas moins certaines que les autres au regard d’une conscience donnée, ne se forment point par des procédés exclusivement logiques ou expérimentaux, qui échappent à tout calcul rigoureux, qui font une place beaucoup plus large à l’élément volontaire et ne s’appuient pas sur des motifs propres à se transmettre infailliblement d’un esprit à un autre. De ce nombre sont surtout la croyance à l’immortalité de l’âme et la foi en la divinité. L’auteur accepte nettement l’une et l’autre, comme nécessaires pour réaliser l’harmonie entre la vertu et le bonheur, et, d’une manière plus générale, pour constituer l’ordre moral des fins, que réclament la liberté et la loi du devoir, du moment qu’on les pose comme réelles[1].

Pour parler d’abord de l’immortalité de la personne, l’expérience future, en disposant du temps et de l’espace, ne peut-elle pas montrer une série de phénomènes analogues à ceux que nous offre l’expérience actuelle, se liant également à une conscience, et cela de telle manière que celle-ci se rapporte à la précédente, la comprenne et la développe à nouveau et ne forme enfin avec elle qu’une seule mémoire, une seule volonté, une personne unique ? De même ne peut-on pas admettre que le bien en général a une existence cosmique et renferme la garantie et la sanction externes des lois de la personne ? Seulement la divinité ne peut être conçue comme personne qu’à la condition de rester soumise aux lois générales de la nature et de la pensée. Il faut lui refuser l’infinité et lui accorder la vraie perfection, la perfection de la justice et de la bonté. Donc le croyant qui veut conserver l’esprit critique et scientifique, doit avouer bien haut l’anthropomorphisme, au lieu de s’en défendre. Mais alors font défaut les raisons aprioriques et tous les arguments rationnels sur lesquels voudrait s’établir la croyance à l’unité plutôt qu’à la pluralité des dieux ; en effet le choix est libre, autant qu’il est légitime, du moment qu’on observe les deux règles suivantes : 1° Ne pas se mettre en opposition avec les résultats acquis de la science ; 2° n’invoquer en faveur de son opinion que des motifs tirés de la

  1. M. Renouvier est plus affirmatif sur toutes ces questions dans sa Psychologie que dans sa Morale Le fait s’explique aisément. Dans la Psychologie il se place au point de vue des possibilités qu’il désire croire, qu’il veut croire : il va jusqu’à dire : « nous voulons aller à la vie immortelle, et parce que nous voulons y aller, nous y croyons et nous y allons. » III, 196. Dans la Morale, au contraire, l’auteur prétend construire une science et il y donne le moins de place possible à sa foi personnelle. Inutile d’ajouter que sa foi, tempérée par le criticisme, n’a rien d’intolérant. Comme la plupart des philosophes anciens, et comme quelques-uns des modernes, il est volontiers probabiliste, lorsqu’il arrive à certaines questions qui lui paraissent appartenir plutôt encore à la poésie philosophique, qu’à la philosophie scientifique.