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delbœuf. — léon dumont et son œuvre philosophique.

vêque (p. 118), qui d’ailleurs, quelques pages plus bas (p. 135), convient que « sans idée niée d’une part, affirmée de l’autre, il n’y a plus d’élément comique. » Dumont fait une application ingénieuse de sa théorie au chatouillement et y voit une confirmation de sa manière de voir. Mais, d’un autre côté, si le rire résulte de la perception d’un contraste, il n’est pas moins certain que tout contraste ne provoque pas le rire, et, par conséquent, il serait nécessaire de soumettre le problème à une analyse ultérieure.

Comment maintenant certaines oppositions nous font-elles rire ? c’est parce que, dit-il, elles provoquent un effort double, et « comme aucune force ne peut se perdre, comme le double effort dont il est ici question n’a pu aboutir à un phénomène intellectuel, il faut bien qu’il se transforme en autre chose et se traduise au dehors par une dépense de force musculaire »[1]. Évidemment la réponse à la question n’est pas telle ; pas plus qu’on ne peut admettre que le plaisir, qui d’ordinaire accompagne le rire, tire son origine de l’augmentation de la force, « qui constitue notre individualité »[2].

Ici nous touchons du doigt un des caractères saillants de l’esprit scientifique de Dumont : une prédilection marquée pour les formules générales où il fait rentrer de gré ou de force tous les phénomènes. Mais ses généralisations étaient trop hâtives parce que, dans son impatience, il ne poursuivait pas jusqu’au bout l’étude attentive des faits. Cette heureuse confiance ne déplaît pas, disait M. Lévêque {p. 117), elle inspire même une bienveillante sympathie. Cela est vrai, mais ne semble-t-on pas alors borner son ambition à accumuler des matériaux pour les penseurs à venir ?

Ce dernier mérite, Dumont le possédait incontestablement. Je ne connais rien de plus complet, dans son petit cadre, que l’examen qu’il a fait du livre du docteur Hecker. Qui mieux qu’un Français, d’ailleurs, peut démêler des nuances délicates et complexes qui distinguent le comique et le plaisant, le risible et le ridicule, l’esprit et l’humour ? Les Allemands sont mal à l’aise dans un pareil sujet, eux qui n’ont jamais compris Molière[3]. Dumont, au contraire, est en plein dans son élément, et les aperçus vifs et originaux, les traits subtils et déliés abondent sous sa plume. Tous ceux qui voudront après lui traiter ce sujet devront incontestablement tenir compte de ses remarques, et l’on ne peut qu’adhérer sans réserve au jugement

  1. Révue scientifique, p. 532.
  2. Ibid., p. 533.
  3. En écrivant ceci nous pensons à Schlegel. Cependant M. Laun fait paraître à Berlin, une édition de Molière, où, selon les Français eux-mêmes, le commentaire est à la hauteur du texte.