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delbœuf. — léon dumont et son œuvre philosophique.

tures, à la profondeur de ses aperçus, à la clarté de ses analyses, à l’heureuse finesse de ses rapprochements. La seconde partie de sa Théorie de la sensibilité, et, dans la première, le chapitre où il met si bien en relief le caractère essentiellement relatif du plaisir[1], son travail sur l’habitude, sont des modèles de synthèse et de généralisation dans des matières excessivement ardues, et il ne sera permis à personne de ceux qui voudront après lui s’occuper de ces questions, de négliger l’étude attentive de ces ouvrages ; ils y trouveront de riches matériaux ayant reçu un premier groupement et propres à servir de base à un nouveau travail.

Malheureusement cette partie de son œuvre scientifique échappe à l’analyse, parce qu’elle se compose essentiellement de détails. Ce n’est d’ailleurs ni dans la Revue scientifique, ni dans la Revue philosophique, où les écrits de Dumont étaient accueillis avec un si légitime empressement et lus avec le plus vif intérêt, ce n’est pas dans ces Revues dont les pages les plus récentes renferment les dernières lignes sorties de sa plume infatigable, qu’il conviendrait de reproduire en leur ôtant tout leur charme, les vues multiples et variées de cet esprit vigoureux et réfléchi. Ce n’est pas sous ce rapport seulement que la perte de Dumont est douloureuse, et l’on pourrait dire irréparable. Il avait assumé une tâche bien autrement laborieuse, bien autrement difficile, bien autrement féconde. Il s’était donné pour mission d’initier le public français à la science philosophique de l’étranger.

Riche, actif, enthousiaste, avide de savoir, connaissant les langues étrangères, aimant les voyages, travaillant sans cesse, il se tenait au courant du mouvement des idées d’Allemagne et d’Angleterre. Il a fait connaître à la France, dans des articles lumineux, Schopenhauer, Hartmann, Strauss, Göhring, Horwicz, Hodgson, Lewes, Sully, Laycock, Carpenter ; c’est lui aussi, — et en écrivant ces mots, je ne puis réprimer un instant de douloureuse émotion, — qui a bien voulu consacrer à mes ouvrages bien des jours d’étude, les derniers qu’il devait vivre.

Autant que je puis en juger, Dumont avait avant tout l’esprit critique. Peut-être comme théoricien était-il trop l’homme des détails pour s’élever à des conceptions vastes et puissantes, et se contentait-il trop facilement, comme je l’ai déjà dit, d’une formule aux allures scientifiques. Le système qu’il croyait tenir a fait parfois du tort à son jugement. Mais quel rôle important il eût pu jouer comme initiateur de sa patrie à la vie scientifique et philosophique de l’Eu-

  1. Théorie de la sensibilité, p. 69.