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ANALYSESh. spencer. — Principes de Sociologie.

duction, comment lui reprocherait-on de trouver ensuite les faits conformes à une conception théorique qui n’en est que l’explication ? La forme déductive n’est, dans ce cas, qu’un procédé littéraire : bien que l’écrivain déduise en apparence, le penseur induit en réalité et peut rester parfaitement fidèle à la méthode expérimentale.

Au reste, on se ferait une idée singulièrement fausse de là méthode expérimentale, si l’on se figurait qu’elle exclut le raisonnement déductif. Pas une science où ce raisonnement n’ait sa place légitime. Le bannir d’un ordre quelconque de recherches, serait simplement absurde, car ce serait bannir la raison elle-même. Le physicien, une fois en possession d’une loi, ne recourt-il pas aussitôt aux mathématiques, c’est-à-dire à la déduction dans sa forme la plus rigoureuse, pour tirer de cette loi tout ce qu’elle contient ? Il y a plus, dans la découverte même des lois, c’est-à-dire dans l’ensemble des opérations dont se compose ce qu’on appelle d’un nom unique l’induction, il est impossible de ne pas reconnaître déjà l’intervention du raisonnement déductif. Toute loi, en effet, est devinée avant d’être établie ; elle est une conjecture ou une hypothèse avant d’être une loi. Comment la vérifier ? Par l’expérience assurément ; mais comment organiser l’expérience et diriger les observations ? il n’y a qu’un moyen, c’est de raisonner. ainsi : si cette hypothèse était vraie, telles conséquences en découleraient. Et, selon que les faits observés dans la nature ou dans le laboratoire se trouvant conformes ou contraires aux prévisions, l’hypothèse suivant laquelle on a raisonné, est confirmée ou abandonnée. On voit par là combien l’on serait mal venu à blâmer chez un philosophe, un procédé dont nul savant, pas même le plus exact expérimentateur ne saurait se passer ; un procédé qui n’est rien moins que la démarche essentielle de la raison, et, pour mieux dire, la raison même en action.

Assurément M. Spencer est un esprit systématique ; mais il serait singulier de lui en faire un reproche. Qu’est-ce donc que l’esprit philosophique, s’il ne consiste pas précisément et avant tout à croire que les choses forment un système ? et quel est l’objet de la philosophie, si ce n’est pas précisément de chercher la clef de voûte de ce système, un point de vue d’où l’on en découvre l’unité et d’où il paraisse intelligible en toutes ses parties ? — Que les rationalistes, que les métaphysiciens reprochent à M. Spencer de ne pas s’élever assez haut, de ne pas pénétrer assez profondément au sein des choses, de se contenter d’une unité imparfaite et d’explications qui demanderaient à être elles-mêmes expliquées, ils ont le droit de le faire et nous aurons tout-à-l’heure à lui adresser nous-même quelques critiques de ce genre, trouvant sur plus d’un point son système incertain et sa logique en défaut. Mais le blâmer, au contraire, de trop chercher à expliquer, à coordonner les faits, à en faire jaillir la lumière, c’est tout simplement se plaindre qu’il soit trop philosophe. Tel est bien cependant le grief élevé contre lui par une partie de son école même. Suspect aux métaphysiciens, il ne l’est pas moins aux empiristes à outrance. Pour les uns il n’est pas assez philoso-