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ANALYSESh. spencer. — Principes de Sociologie.

digestif relativement très-développé. Ces différents traits sont à la fois des effets d’un état social misérable, et des empêchements à en sortir. Un travail régulier procurant une alimentation régulière et abondante serait la condition nécessaire du progrès ; mais comment un travail régulier serait-il possible à l’être qui, aux plus rudes privations faisant succéder les plus grossiers festins, est paralysé par un sommeil bestial et par le travail d’une pesante digestion, quand il ne l’est point par les angoisses de la faim ? Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner que l’évolution ait été lente, mais plutôt qu’elle ne l’ait pas été davantage. « Les empêchements dus à la constitution physique de l’homme étaient, en effet, à l’origine infiniment plus grands qu’aujourd’hui, et cela de trois manières. »

1o Par sa structure l’homme était moins apte à triompher des difficultés.

2o L’activité requise pour en triompher était moins énergique et surtout moins régulièrement alimentée.

3º L’homme sentait moins vivement ses maux.

Ainsi, alors que tous les obstacles étaient encore à vaincre, l’homme était à la fois moins capable et moins soucieux de les vaincre. Plus difficile était le progrès, moins l’homme avait de puissance et d’ardeur pour l’accomplir.

Le chapitre consacré à l’étude de la sensibilité et de la « nature émotionnelle » de l’homme primitif est un des plus intéressants de tout l’ouvrage. Le goût des recherches psychologiques est si vif chez M. Spencer, qu’il s’étend avec une complaisance visible, peut-être même excessive, sur les données psychologiques de la sociologie. Il n’est pas impossible que cela n’ait un inconvénient et ne paraisse un défaut (au moins un défaut de composition), à qui plus tard lira tout d’un trait et jugera comme œuvre d’ensemble le Système de philosophie. On trouvera peut-être, en effet, que, faute d’avoir assez restreint et assez nettement déterminé le domaine de la sociologie, notre auteur est conduit à embarrasser cette science de longs développements qui eussent aussi bien ou mieux trouvé place dans ses précédentes publications. Ainsi nous voyons jusqu’ici trop peu de différence entre sa sociologie et une simple psychologie de l’homme vivant en société. Mais, cette réserve faite, nous n’avons garde de regretter les chapitres dont l’analyse va suivre. La sociologie, croyons-nous, ne saurait faire trop d’emprunts à la psychologie. Quand on songe que le positivisme, chez nous du moins, a une tendance à méconnaître l’étroite relation de ces deux sciences, prétend passer directement de la biologie à la sociologie et ne croit devoir donner ni une place ni un nom distinct à l’étude des faits de conscience, on ne peut que savoir gré à M. Spencer de donner un exemple tout différent. Loin d’omettre la psychologie, il la juge, lui, de telle importance, que non content d’avoir consacré deux gros volumes à cette science, il ne peut s’empêcher d’y revenir encore en sociologie, tant pour confirmer par de nouveaux