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et fortes pages sur les conséquences désastreuses qu’entraîne pour la société la décadence des sentiments domestiques. Il insiste peu sur l’amour des biens, et arrivant à l’amour de nos semblables, il y trouve l’origine véritable des mœurs publiques. Les liens de famille, la transmission régulière des biens du père au fils aîné ne suffisent pas à expliquer entièrement la formation des nations. « Les relations des hommes entre eux, la solidarité et l’opposition de leurs intérêts, la communauté et les différences de leurs traditions, la fraternité d’armes, la protection du faible par le fort en sont des éléments non moins nécessaires. » — Rien n’est plus vrai.

M. Funck-Brentano se trouve ensuite naturellement amené à traiter des mœurs publiques dans les différentes formes de gouvernement, qui sont, selon lui, de quatre espèces : les monarchies, les aristocraties, les timocraties ou oligarchies, enfin les démocraties. — Il montre comment les formes de gouvernement se succèdent naturellement dans cet ordre, et par quelles évolutions presque fatales les sociétés passent de l’une à l’autre. Il établit par une observation généralement exacte et pénétrante cette loi, indiquée déjà par Platon, que chaque gouvernement porte en lui-même les causes de sa décadence et les germes de sa dissolution. Il conclut, qu’aucune forme politique n’est en soi meilleure qu’une autre, que ce qui importe, c’est surtout la pureté et la force des mœurs publiques, l’harmonie des tendances, des affections, des idées de tous les citoyens, et qu’enfin sous quelque gouvernement que ce soit, une nation peut toujours atteindre à son plein développement et jouir de la vraie liberté. Ces considérations sont pour la plupart d’une irréprochable justesse ; l’accent grave et convaincu de l’auteur leur prête une sorte de nouveauté. Peut-être cependant va-t-il un peu loin en soutenant qu’aucune forme de gouvernement n’est en soi meilleure qu’une autre. En effet, si, comme il l’avoue, les peuples vont, par une marche naturelle, vers la démocratie, on en doit conclure, ce nous semble, que toutes choses égales d’ailleurs, la démocratie vaut mieux que l’aristocratie ou la monarchie. Elle suscite et garantit à la fois un plus libre essor des facultés intellectuelles, une expansion plus complète de l’activité de chacun dans tous les sens. Que, par suite, l’individualisme risque de s’y développer outre mesure, et de disperser dans une infinité de directions divergentes l’effort collectif de la nation, nous n’y contredisons pas : il y a là un danger pour l’unité de l’esprit public, unité nécessaire à l’existence et au progrès des peuples. Mais ce danger est-il, aujourd’hui du moins, aussi redoutable qu’on le croit ? Quand chacun a part à l’autorité par le droit de suffrage, quand la chose publique est ainsi devenue réellement la chose de tous, il nous semble que cette unité d’aspirations a plus de chances que jamais de se produire et qu’elle est même d’autant plus puissante, d’autant plus capable d’inspirer le dévouement patriotique, qu’elle est la résultante d’activités individuelles plus librement développées. Nous ne croyons donc pas qu’on doive s’inquiéter des