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fouillée. — la philosophie des idées-forces

La doctrine de l’idéal et des idées directrices, ainsi entendue, constituera un idéalisme, au sens le plus exact et le plus conforme à l’étymologie de ce terme. Toute philosophie qui prend pour centre de perspective le sujet, — c’est-à-dire la conscience, la pensée et les idées qui en sont les lois, — est ou tend à être un idéalisme. Mais l’idéalisme n’est scientifique qu’autant qu’il reste subjectif et psychologique ; il devient hypothétique, conjectural et proprement métaphysique dès qu’on lui attribue une objectivité transcendante ; il se change alors en spiritualisme exclusif. Nous ne saurions donc admettre l’identité que M. Janet a un jour essayé d’établir, dans cette Revue même, entre idéalisme et spiritualisme. Que le second suppose le premier, cela est possible ; mais que le premier suppose le second, c’est ce que nous contestons. Le domaine du scientifique s’établit avant le domaine du conjectural et indépendamment des hypothèses métaphysiques. De plus, le spiritualisme est un système qui naît de ce que, dans les hypothèses sur l’absolu, on se place au point de vue de l’idéalisme seul, et sans l’avoir préalablement concilié avec l’autre point de vue également positif et scientifique, celui du naturalisme. Inversement, le matérialisme est un système métaphysique qui naît de ce que, dans les hypothèses sur l’absolu, on se place au point de vue du naturalisme seul, sans l’avoir préalablement concilié avec l’idéalisme. Le spiritualiste transporte dans l’absolu les formes suprêmes de la conscience ; le matérialiste transporte dans l’absolu les formes suprêmes du mouvement. Or il est vraisemblable que, là encore et là surtout, une conciliation serait nécessaire. Cette conciliation, qui supposerait la science parfaite de l’unité des choses, est impossible pour l’homme : tout ce que nous pouvons espérer, c’est une approximation indéfinie[1]. Mais la conciliation est beaucoup plus nécessaire et aussi beaucoup plus facile entre les deux domaines de la philosophie positive, également légitimes et scientifiques : je veux dire le naturalisme ou philosophie du mouvement et l’idéalisme ou philosophie de la conscience. Tandis que l’esprit et la matière sont deux absolus, la conscience avec ses idées d’une part, la nature avec ses mouvements d’autre part, sont des choses relatives et susceptibles de vérification scientifique ; dès lors, on peut et on doit entreprendre le rapprochement progressif du point de vue naturaliste et du point de vue idéaliste, de la méthode objective et de la méthode subjective,

  1. « Nous ne prétendons pas arriver, avons-nous dit à ce sujet dans La liberté et le déterminisme (Préface), jusqu’au point final où se produirait une coïncidence parfaite ; la série des moyens termes qu’il faudrait intercaler pour obtenir une entière conciliation, et par conséquent une entière explication des choses, est sans nul doute infinie ; tout ce qu’on peut faire, c’est d’ajouter, s’il est possible, quelques anneaux de plus à la chaîne des raisons. »