Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VIII.djvu/164

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
158
revue philosophique

ments de chaque jour. Il se familiarisa ainsi avec la vie du Louvre, peu à peu connut le vrai des choses et des situations, et apprit à lire assez couramment dans le jeu des principaux personnages. Tout cela, naturellement, pour le mieux de ses intérêts. Les circonstances l’avaient jeté au sein d’un parti que la reine ne pouvait que favoriser, car il se donnait pour représentant et pour champion de ses idées. La fortune soufflerait-elle de ce côté-là ? Vanini dut croire que oui, puisque, nous en avons la preuve certaine, il s’arma en guerre contre les beaux esprits, comme on appelait alors les libres penseurs, et contre les hérétiques. Eh quoi ! lui, un philosophe ? — Assurément, mais ce ne fut pas sans scrupules. — Pour lutter avec avantage contre ses adversaires, il fallait bien qu’il lût leurs ouvrages ; or, justement, cela n’était pas permis. Un autre se serait peut-être fait fort de la droiture de ses intentions pour passer outre aux inhibitions de l’lndex. Mais l’ami de Genocchi entendait autrement et plus rigoureusement son devoir. Ne pas se mettre en règle avec l’Église, l’idée ne lui en vint même pas. Il n’eut pas de cesse, au contraire, qu’il ne se fût fait présenter au Nonce et que, modestement, comme il convenait, attirant sur soi l’attention d’un si puissant personnage, il ne lui eût fait part de son embarras. Le résultat fut ce qu’on peut bien imaginer. Robert Ubaldini accueillit fort bien son jeune compatriote, si bien qu’il voulut seconder ses projets, en lui faisant accorder une grâce dont la congrégation des inquisiteurs généraux se montrait avare alors envers des docteurs plus éprouvés : il l’autorisa à lire, pour les réfuter, les ouvrages des païens et des hérétiques[1]. Voilà donc Vanini devenu en quelque sorte, par le fait de cette permission, un des théologiens de la nonciature. Je laisse à penser s’il manqua de se faire honneur de cette peau de lion, au moment de se jeter dans la terrible mêlée de plumes dont les affaires de l’Église de France étaient l’occasion. La guerre à l’encre se faisait alors d’autre façon qu’aujourd’hui. Qu’on transforme en in-quarto et en in-folio la multitude de brochures que suscite à présent la moindre affaire politique, et l’on aura une idée de la polémique aux premières années du xviie siècle. Le P. Mersenne écrit en latin sur les questions qui agitent l’opinion de son temps un in-folio de 2000 pages à deux colonnes[2]. Vanini lui-même, qui se montrera plus léger ailleurs, ne prend pas moins de champ dans son Apologie pour la loi de Moïse et la loi du Christ[3] et c’est en dix-

  1. Amphith., p. 77 ; De arcan., p. 170.
  2. Mersenne, Quæstiones celeberrimæ in Genesim, etc.
  3. Amiphith., p. 38, 43 ; De arcan., p. 343, 428, 438, 440, etc.