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analyses. — astié. Mélanges de Théologie.

tion : celle de la chute, de l’expiation, du jugement à venir, etc. Le temps vient où le dogme est formé de toutes pièces, si bien qu’il semblera à tout homme du dehors inséparable de la « vérité religieuse » ou, comme s’exprime M. Astié, de l’Évangile auquel il sert de contenant. Cependant il n’en est rien. En effet, regardez-y bien ; vous reconnaîtrez que le fait, l’élément primitif est resté le même, et que ce développement pompeux du dogme n’a de raison d’être, au fond, que la continuation de l’action extraordinaire exercée sur les membres de la communauté chrétienne par l’action indirecte de Jésus de Nazareth. Voilà l’élément stable ; le reste est un brillant vêtement, respectable par les soins qui ont été apportés à sa décoration, mais point nécessairement lié au corps vivant qu’il enserre, point indissoluble de ce corps.

En voulez-vous la preuve ? Le xvie siècle arrive, et la notion de l’ « Église)), cette pierre angulaire de la fui, à entendre les théologiens catholiques, est violemment arrachée. Toutefois l’édifice subsiste, ou, pour parler une langue plus claire, les diverses branches du protestantisme fournissent une brillante carrière en dépit, tant des différences qui les séparent de l’Église catholique — laquelle, quoique affaiblie, conserve sa vitalité — que des divergences qui séparent les diverses sectes issues du mouvement réformateur. Comment cet arbre, ainsi coupé en tronçons, continue-t-il à vivre ? C’est que, sous la variété du dogme, persiste ce même élément, la personne spirituellement vivante de Jésus, continuant d’agir sur les âmes, quel que soit l’enchaînement dogmatique dans lequel on l’encadre.

J’ai dit : « quel que soit l’enchaînement dogmatique » ; mais le dogme n’est pas une simple superfétation, dont on puisse se passer pour ne conserver que le fait central pris en lui-même. Dès que l’homme réfléchit, il sent un besoin impérieux d’ordonner ses idées : du moment où Jésus de Nazareth lui apparaît comme le « rédempteur », il lui faut trouver une place à ce rédempteur dans la conception générale du monde, de l’homme et de Dieu. Ce travail d’arrangement, la confection de ce vêtement, voilà le travail nécessaire de la dogmatique, et ce travail est précisément conditionné par les circonstances d’une époque, par la manière générale de sentir et de voir d’un siècle et d’un peuple donnés. Donc, si l’Évangile demeure, la dogmatique change et doit changer de siècle en siècle, comme le vêtement change, comme la civilisation change, comme la philosophie change. Ce qui a passé longtemps dans ce monde, ce qui passe encore aux yeux de beaucoup pour l’élément immuable et invariable de la religion, le dogme, en est précisément l’élément éternellement et nécessairement variable, le côté formel, comme eût dit un scolastique. Deux réflexions se dégagent immédiatement de ces prémisses : l’une, que l’on aurait le plus grand tort de rejeter le christianisme, considéré comme identique à l’une des conceptions sous lesquelles il se présente dans le cours des âges, celle-ci est à l’adresse des libres penseurs et en faveur des Églises ; —