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égard dans la brochure dont M. Astié veut bien s’occuper. Le protestantisme libéral s’est engagé sur ce point dans une impasse. Il a méconnu les conditions historiques qui s’imposent à tout développement politique, social ou religieux, à savoir l’appartenance au temps, à l’époque, aux circonstances. Le Jésus « protestant libéral » de MM. Reuss et Colani n’est pas le Jésus qui a été crucifié au temps de Tibère. À supposer un instant que ce fût, ce n’est pas avec les renseignements très incomplets et sujets à la critique que nous ont transmis les Évangiles que l’on peut reconstituer un ensemble religieux complet. À vrai dire, chacun y prend ce qu’il veut. Il est donc permis de dire, et cela sans aucune injustice, que les libéraux, après avoir ramené, au prix d’un courageux et intelligent effort, la Bible et l’histoire sainte du judaïsme et du christianisme dans le cercle de questions qui doivent se trancher par les méthodes exactes de l’histoire, c’est-à-dire après avoir réalisé un progrès énorme dans l’intelligence des recherches religieuses, ont échoué dans leur essai dogmatique de substituer aux débris d’orthodoxie qu’ils voyaient associés chez leurs adversaires à une application absolument démodée de la Bible, la doctrine religieuse de Jésus de Nazareth.

Y a-t-il là une raison pour se décourager et abandonner la partie ? Je ne le pense pas. Je tiens pour acquis que les chefs du protestantisme libéral ont démontré comme intenable la position théologique des orthodoxes de toute nuance à l’égard de la Bible. Il ne faut pas se faire d’illusions. Le miraculeux biblique est effacé de l’histoire et n’y sera plus écrit. Ces miracles qui attestaient la divinité du christianisme, on a recours en vain aux explications les plus embrouillées pour en rendre supportables deux ou trois. Ces prophéties messianiques, tant vantées, se sont résolues en fumée. Voilà certes un gros résultat. Les libéraux ont fait plus, comme je l’indiquais : ils ont démontré par leur propre exemple — au moins pour moi — que tout essai fait pour retrouver dans le passé un type religieux absolu et complet était condamné. Ils l’ont tenté sur la personne même de Jésus de Nazareth et le sol a cédé sous leurs pieds.

Des deux éléments, l’un semblable à lui-même, l’autre variable, que nous avons signalés comme constituant par leur union le christianisme d’une époque déterminée, nous avons examiné l’un, l’Évangile, et nous arrivons sans effort, par le rejet des autres définitions, à la formule suivante : L’Évangile, considéré comme élément immuable du christianisme, ne peut être défini que l’action religieuse exercée par la personne de Jésus de Nazareth sur son entourage et transmise de génération en génération par ceux qui l’ont ressentie. Cette première action donne naissance tour à tour au messianisme judéo-chrétien de la première Église, puis au paulinisme, puis à la doctrine johannique, puis à la synthèse catholique, puis au dogme des conciles ; elle est et reste le point de départ et le point d’attache, le noyau autour duquel vont se ranger les définitions théologiques et philosophiques. Cette action recevra différents noms :