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On nous répondra que ces phases sont tout idéales, qu’elles sont distinctes sans être successives, et qu’il n’y a pas de date à leur assigner ! Et comme d’autre part il ne s’agit pas d’un système personnel à l’auteur, et qu’il n’adopte ni ne repousse aucune des propositions dogmatiques énoncées dans son livre sous le nom de Malebranche, nous ne savons vraiment à quel point de vue nous placer pour apprécier celui-ci : ce n’est pas seulement une série de propositions historiques sans preuves ; ce n’est ni une œuvre historique, ni une œuvre dogmatique, ni une œuvre scientifique quelconque. Nous affirmons en toute sincérité qu’il nous est impossible de l’approuver ou de la critiquer à aucun point de vue.

Heureusement, le volume s’ouvre par une introduction sur la méthode à suivre dans l’histoire des systèmes. S’il y a un malentendu entre M. Turbiglio et nous, peut-être cette introduction nous aidera-t-elle à la dissiper. Examinons-la.

Nous y voyons d’abord que les systèmes de philosophie dont il s’agit de faire l’histoire ne sont pas des œuvres scientifiques. Celles-ci renferment des vues particulières sur des objets particuliers ; ceux-là sont constitués par des idées très générales sur le monde et les rapports de l’homme avec le monde, idées qui ne sont pas vérifiables et ressemblent bien plutôt à des conceptions ou à des croyances religieuses qu’à des connaissances positives. « Le philosophe est un artiste, non un savant… » Voilà un début qui n’est point fait pour nous choquer, et, bien que la proposition soit discutable, on peut l’accorder à l’auteur pour savoir où elle nous doit conduire. Seulement, il ne faudrait pas qu’il infère de cette concession que l’histoire des systèmes est, elle aussi, une poésie. Celui qui raconte fait œuvre scientifique ; il est tenu à la démonstration par les faits et par les textes ; il est soumis à une multitude de règles qu’on appelle les lois de la critique historique. Mais, comme nous allons le voir, c’est une remarque dont M. Turbiglio n’a que faire.

Ces idées générales, plus proches de la religion que de la science, sont la forme la plus haute de la conscience collective dans une société civilisée. « Chaque homme est fils de son temps et de son milieu. » Le philosophe à plus forte raison. Il pense avec les éléments que lui fournit le milieu intellectuel contemporain. La synthèse qu’il en fait est partie intégrante d’un certain état psychique général qu’elle exprime plus ou moins exactement, mais qu’elle exprime nécessairement, comme la plante exprime le milieu physique où elle croît, comme le centre nerveux exprime le milieu physiologique où il puise ses conditions vitales. Un système représente donc « la constitution même de l’esprit du philosophe et de l’âme de l’humanité dans tel ou tel moment historique. » Cette fois, nous sommes d’accord avec M. Turbiglio presque sans réserves. Mais poursuivons.

Le philosophe, assure-t-il, n’ajoute rien qui lui soit propre à cette disposition générale des esprits, et cette conception du monde, il ne