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hartmann. — la philosophie religieuse

difficulté : d’an côté, elle ne pouvait pas se contenter de la conception purement intellectuelle, mais elle devait maintenir la représentation externe comme le fondement possible de cette conception, et d’autre part elle se trouvait dans la nécessité de rattacher la représentation à un fait éloigné dans le temps et l’espace. Alors l’activité de la représentation est intervenue de nouveau et a créé des personnes intermédiaires destinées à combler l’éloignement entre l’homme et l’auteur ou le médiateur de la délivrance. Comme le culte de Marie et des saints, qui prit ainsi naissance, et le caractère divin attribué aux prêtres ne firent qu’augmenter le mal produit par l’éloignement de Dieu, le protestantisme eut parfaitement raison de les rejeter ; mais, « au lieu de corriger radicalement la conception fondamentale défectueuse, qui consiste dans l’identification d’un principe divin avec sa manifestation humaine, il n’en rejeta qu’une moitié, ce qui a rapport à l’Église et à la tradition, mais il la laissa subsister intacte dans le Christ et dans l’Écriture. C’est ainsi qu’en renonçant à l’erreur on perdit aussi la part de vérité contenue dans la doctrine catholique touchant la délivrance, et que la conséquence logique formelle fut remplacée par une demi-mesure illogique… Si l’on se place sur le terrain de la doctrine catholique relative au salut, qui reconnaît à priori la possibilité d’œuvres méritoires excédantes et la transmission de leur mérite, la théorie de la satisfaction enseignée par saint Anselme est tout à fait logique. À proprement parler, elle nous présente l’œuvre du Christ seulement comme le prototype des pratiques de l’Église, lesquelles sont ainsi justifiées comme l’image et la continuation de l’œuvre du Christ. Mais, autant cette théorie de la réconciliation de saint Anselme est logique au point de vue du dogmatisme catholique, autant elle est évidemment inconséquente au point de vue de la doctrine protestante touchant le salut. Par ses idées plus rigoureuses sur la liberté absolue de la grâce et sur l’obligation d’accomplir toutes les œuvres réellement bonnes, elle rejette en principe la possibilité d’actes méritoires excédants et retient néanmoins la doctrine de saint Anselme touchant le mérite infini de Dieu ; en outre, par ses vues plus profondes et plus morales sur la responsabilité de chacun, elle repousse en principe la transmission des mérites de l’un à l’autre, et retient néanmoins la doctrine de saint Anselme touchant la transmission du mérite du Christ à l’humanité pécheresse… Ainsi le protestantisme s’arrête à moitié chemin, en niant la délivrance par des actes méritoires au sein de l’Église, et en l’admettant au commencement de l’Eglise.

La théorie rationaliste de la délivrance est aussi peu satisfaisante que celle du supra-naturalisme. Si celui-ci a tort de chercher l’identité