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hartmann. — la philosophie religieuse

chrétienne, de la délivrance opérée d’une manière miraculeuse par le Sauveur. Désirer un libérateur extérieur à moi-même, transcendant à ma conscience, cela n’a de sens que si je reconnais un Dieu extérieur à moi-même ou transcendant ; mais, dès que j’admets que Dieu est immanent à moi-même, le principe immanent de la délivrance remplit mon but d’une manière bien plus parfaite que ne pourrait jamais le faire un libérateur extérieur à moi-même. Celui qui ne croit pas pouvoir se passer d’un libérateur prouve par là qu’il n’est pas encore mûr pour le protestantisme spéculatif ; celui qui porte en lui le principe de l’immanence non comme une connaissance abstraite et discursive, mais comme une intuition directe, un sentiment vivant, celui-là est au-dessus de toute délivrance par le Christ ou par tout autre libérateur, c’est-à-dire il a renoncé à la religion chrétienne de la délivrance tout aussi bien qu’au théisme chrétien.

Après toutes ces considérations, il pourrait paraître superflu d’examiner de plus près la position à l’égard du fondateur de la religion chrétienne de la délivrance, puisque ce culte historique sera toujours loin de pouvoir offrir une compensation quelconque pour la suppression des rapports avec le libérateur personnel, suppression qui écarte toute prétention légitime du protestantisme libéral au titre de religion chrétienne, quels que soient les liens de vénération qui le rattachent à Jésus comme fondateur de religion. Cependant cet examen n’est pas dénué d’intérêt, puisqu’il décide la question relative à la continuité historique, où le protestantisme spéculatif prétend se trouver à l’égard de Jésus, comme fondateur du christianisme. Il serait possible, en effet, que ce protestantisme rétablît réellement, comme il le soutient, la vraie teneur intellectuelle des doctrines du fondateur de la religion chrétienne, tandis que le développement du christianisme, tel qu’il a eu lieu jusqu’à présent, n’a fait que la défigurer et l’obscurcir. Deux choses sont hors de doute : la première, c’est que la religion chrétienne n’est pas du tout conforme aux doctrines et aux vues du Christ, et la seconde, c’est que le protestantisme spéculatif se place, sur toutes les questions essentielles, à un point de vue opposé à celui des doctrines religieuses chrétiennes. Il s’agit seulement de savoir si la différence entre la doctrine du Christ et la dogmatique chrétienne ultérieure repose sur les mêmes points que la différence entre le protestantisme spéculatif et cette dernière. Si tel est le cas, le protestantisme spéculatif pourrait certainement soutenir avec raison qu’il est appelé à rétablir le vrai christianisme, qui, dans la doctrine actuelle de l’Église, se trouve seulement à l’état embryonnaire ou plutôt comme une addi-