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Sorbonne, elle était en émoi, moins surprise encore que fâchée de se trouver complice, par le fait de ses commissaires, d’un livre si détestable et si dangereux. Le Père Corradin et maître Le Petit furent mis en demeure d’expliquer leur étrange complaisance pour les blasphèmes du plus osé des libertins. Ces bonnes gens furent bien surpris. Leur conscience de censeurs ne leur reprochait rien. Quelle mauvaise querelle leur faisait-on là ? Mais, après qu’on leur eut mis le livre sous les yeux, quand ils en eurent lu certains passages qu’on leur souligna, ils tombèrent dans une confusion dont ils ne sortirent que pour protester qu’ils avaient été trompés. On ne se contenta pas de cette protestation : on exigea qu’ils fissent en Sorbonne un aveu public de la duperie dont ils se disaient victimes. Ils acquiescèrent avec empressement à ce moyen qu’on leur offrait de laver leur honneur et de mettre hors de tout soupçon l’intolérance de leur Compagnie.

Le 1eroctobre 1616 (je rappelle que l’impression des Secrets de la nature avait été achevée le 1er septembre), ils se rendirent au collège de Sorbonne, à l’assemblée ordinaire de la Faculté de théologie. Dès que la messe du Saint-Esprit eut été célébrée, suivant l’usage, et avant toute autre affaire, ils déposèrent sur le bureau une déclaration écrite, qui fut lue à haute voix, et où le mystère de la prétendue approbation se trouvait expliqué en beau latin. Voici, à leur dire, ce qui s’était passé[1] :

Un Napolitain, du nom de Vanini, était venu leur soumettre le manuscrit de certains dialogues philosophiques. Eux, comme c’était leur devoir, avaient lu ce manuscrit avec soin, et, comme ils n’y avaient découvert rien de répréhensible, ils l’avaient visé, puis rendu à l’auteur, avec la condition d’usage : qu’il le remettrait ainsi visé entre leurs mains dès que l’impression serait terminée. Ce Vanini s’y était formellement engagé ; mais il n’avait pas tenu sa parole et n’en avait eu nulle envie, car il s’était mis à remanier les Dialogues dans un très-mauvais esprit. Pour comble de disgrâce, le libraire auquel il les porta ensuite, ne fit pas son devoir. Un bon libraire n’aurait pas manqué de se refuser à les faire imprimer ; malheureusement, celui-là était un homme sans religion, qui ne voulut pas s’apercevoir que les passages interpolés étaient contraires à la foi commune. De là le scandale, dont, pour leur malheur, ils n’avaient été avertis que quand le livre était déjà très-répandu.

Ce récit au fond devait être sincère. Pourtant, quand on relit les

  1. Archives de la Haute-Garonne. G. Archevêché, carton de Vanini : Déclaration des censeurs.