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baudouin. — histoire critique de jules césar vanini

qu’il serait recherché, arrêté, traduit en justice. Et ce n’était plus seulement de la mort de Silvius qu’il aurait à répondre : la Sorbonne se ferait son accusatrice dès qu’elle le saurait en prison, de sorte que si, par fortune, il n’était pas pendu comme meurtrier, il courait risque d’être brûlé comme hérétique. Le malheureux philosophe, toujours préoccupé des menaces funestes de son horoscope, se voyait au moment de succomber sous les coups de la fatalité. C’était en vain qu’il avait lutté pour surmonter l’influence de sa mauvaise étoile : de nouveau, il lui fallait fuir, une seconde fois laisser avec ses espérances de fortune le doux pays de la cour. Il résolut d’aller se cacher loin, bien loin au fond de la province. On verra tout à l’heure où il se réfugia.


V


Vanini, au sortir de Paris, ne se sauva pas tout de suite en Guyenne, pour s’y jeter dans on ne sait quel couvent, comme l’avait cru Guy-Patin[1]. La congrégation qui lui donna asile était de cent lieues au moins plus rapprochée. Le P. Mersenne la qualifie de très sainte[2], sans la désigner autrement. Elle l’était sans doute, puisqu’il le dit, mais il faudrait avouer qu’elle ne se recrutait pas très saintement, si, connaissant Vanini pour ce que le P. Mersenne le donne, un parasite et un débauché, elle se l’était néanmoins affilié. Mieux vaut croire qu’elle ne savait rien de sa vie, et qu’elle l’avait pris seulement parce qu’il lui avait été recommandé ou imposé. Par qui ? Par aucun autre sans doute que celui dont il avait été l’hôte, le commensal et le favori.

Arthur d’Epinay Saint-Luc, on ne l’a pas oublié, était abbé commendataire de Redon. Pour sauver son protégé, il ne pouvait lui offrir un plus sûr asile que son abbaye. Elle était située, comme on sait, sur la côte bretonne, presque à l’embouchure de la Vilaine. Si le P. Mersenne ne l’a pas nommée, c’est que certaines bienséances lui faisaient en quelque sorte un devoir de la discrétion. Au moment où il écrivait, en 1621 ou 1622, dans le monde des théologiens et des philosophes où il passait sa vie, le bûcher du 9 février 1619 était présent à toutes les mémoires. Prononcer le nom de Redon, c’eût

  1. Patiniana, cité par D. Durand dans sa Vie de Vanini, p. 39. L’édition de 1701, la seule que j’aie pu voir, ne parle ni de couvent ni de Guyenne.
  2. Le P. Mersenne, Quæstiones in Genesim, cap. I, p. 156. Le passage que je cite se trouve dans l’exemplaire de la bibliothèque de Toulouse ; il manque dans presque tous les autres. Chauffepié le rapporte dans son article sur Vanini.