Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VIII.djvu/288

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
282
revue philosophique

énergiquement agressive qu’il prit d’abord contre les protestants — « c’était, dit un historien du parti, le plus ardent persécuteur dont on ait jamais parlé[1] » — lui avait ramené presque tous les esprits dans une ville si redoutablement catholique, que, malgré l’édit de Nantes, aucun protestant ne se risqua jamais à s’y établir. On voit en effet dans les annales de l’hôtel de ville que, le 6 août 1618, les capitouls allèrent en pompe au-devant de lui comme il revenait de Paris, où il avait séjourné neuf mois, après avoir assisté en novembre 1617 à l’assemblée des notables.

Des biographes qui ne connaissaient rien de Le Masuyer, ni son caractère bourru, ni sa rigueur dogmatique, ni son récent mariage, ni sa longue absence de Toulouse, ont néanmoins prétendu qu’il avait fait accueil au seigneur Pompée, que même il l’avait chargé d’enseigner la philosophie à ses enfants. On pourrait croire qu’ils s’autorisent de Leibniz, car c’est Leibniz le premier qui a donné cours à cette anecdote piquante d’un premier président de Toulouse devenant le protecteur d’un athée[2] : il l’avait empruntée apparemment au journal de quelque voyageur allemand qui comme Borrichius[3] avait passé par Toulouse, et comme Borrichius y avait recueilli ce qui se disait de Vanini. Le fait est cependant que l’illustre auteur de la Théodicée ne nomme personne. Mais pour préciser son récit, quelqu’un a eu l’idée de rechercher quel avait été le premier président de 1617. Véritablement, c’était Le Masuyer, mais comme on vient de le voir, ce n’est pas lui que pouvaient viser les notes de voyage communiquées à Leibniz. Il faut, donc admettre qu’elles se rapportent au premier président qui vivait quand elles furent écrites ; et en effet elles ne le désignent que par son titre.

Pour le Toulousain railleur, dont elles nous rendent les propos plus malveillants que spirituels, le chef suprême de la justice du ressort n’avait plus de nom propre ; c’est ainsi que pour le soldat dans un régiment le colonel se nomme… le colonel. Cette manière d’identifier l’homme avec sa fonction est fréquente dans le langage usuel, où elle ne peut prêter à des anachronismes. Par exemple, le même soldat, s’il raconte la jeunesse de son supérieur, dira sans y songer : Le colonel disait à son capitaine. Le bourgeois de Toulouse qui entretenait le voyageur allemand cité par Leibniz paraît avoir commis une confusion toute semblable, en parlant du premier président qui avait succédé à Le Masuyer.

  1. Histoire de l’édit de Nantes, Delft, 1698, tome II, p. 317.
  2. Leibniz, édition de Genève, in-4o, 1768, tome I. p. 461.
  3. Journal de Borrichius, citè par Arpe, Apologia pro J.-C. Vanino, p. 38, in-8o. Cosmopoli (Rotterdam), 1712.