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ANALYSEScarrau. — Études sur la Théorie de L’Évolution.

cience est la plus redoutable, et peut-être serait-on obligé d’admettre la coexistence indéfinie de la conscience et de la matière pour expliquer le développement de l’esprit. On ne peut nier cependant que la théorie évolutionniste ne rende compte d’un grand nombre de faits, et les arguments de M. Carrau ne m’ont pas prouvé qu’elle doive être définitivement rejetée, car on peut espérer que les difficultés se résoudront peu à peu. Telle n’est pas là l’opinion de l’auteur. « Il est manifeste à priori, dit-il, que le transformisme est impuissant à expliquer comment le passage de la brute à l’homme a été franchi. Il y a là, croyons-nous, une impossibilité logique. Si quelque chose ne peut sortir de rien, par une égale nécessité, le moins ne peut produire le plus, ni la non-pensée la pensée. J’attribuerai à la sélection naturelle toute la puissance qu’on voudra, et je suis même disposé à la croire très grande, mais je ne puis admettre que du milieu d’animaux sans parole et sans réflexion elle soit parvenue à susciter un être capable de parler et de dire moi. Si les conditions de la parole et de la pensée existent déjà chez l’animal, pourquoi celui-ci ne parle-t-il et ne réfléchit-il vraiment pas ? Si elles n’existent point, comment la sélection, qui ne peut que développer, non créer, les aurait-elle fait naître. » On peut répondre que l’animal présente quelques-unes des conditions demandées, et les conditions nécessaires pour acquérir les autres, si les circonstances de son existence changent. M. Carrau admet lui-même que l’homme a pu exister sans le langage et sans la réflexion. « Le flot des impressions venues du dehors passait et repassait sur son âme encore passive ; les idées s’associaient et s’enchaînaient d’elles-mêmes ; il n’était jusque-là que l’un des mammifères supérieurs. D Ainsi ce mammifère supérieur a pu devenir un homme. Les transformistes se contenteront bien de cela, d’autant plus qu’il ne sera pas bien difficile de supposer que ce mammifère supérieur a eu pour ancêtres des animaux moins perfectionnés que lui. M. Carrau objectera sans doute que la transformation de ce mammifère supérieur en homme ne peut se faire que grâce à une virtualité latente que l’homme a déjà reçue de Dieu, mais il est impossible de voir dans ce mot virtualité autre chose qu’un signe désignant certaines conditions internes qui, dans des circonstances particulières, produiront un certain effet. Ces conditions internes sont bien peu de chose, puisque l’homme qui les possède n’est encore qu’un des mammifères supérieurs. C’est peut-être « une imperceptible modification des germes, soit un changement dans la composition des molécules qui les constituent, soit une légère variation dans la direction ou la vitesse des mouvements qui animent les atomes de ces molécules. » N’est-on pas bien près de nier l’action surnaturelle quand on en vient à la réduire ainsi, et ne peut-on pas supposer que les conditions d’existence ont suffi pour produire un effet aussi mince ? Cela n’est-il pas d’autant plus probable que les germes doivent nécessairement être un peu différents les uns des autres ? Sans doute, il n’est pas prouvé que les choses se soient pas-