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delbœuf. — le sommeil et les rêves

de sujet. Il m’a été rarement donné de lire des pages plus vives, plus nettes, plus originales sur des sujets en partie rebattus. M. Stricker est juif, comme Spinoza, comme Traube, comme Helmholtz. Si je fais connaître ce détail, c’est parce qu’il n’écrit pas comme la plupart des Allemands. Son style est rapide et précis, sa phrase courte et incisive ; sa pensée claire et saisissante. Ajoutons que sa pénétration est subtile et ingénieuse. Je suivrai dans mon résumé l’ordre même des leçons du maître.

Distinguons entre le savoir potentiel et le savoir vif (actuel)[1]. À n’importe quel moment de mon existence, je ne puis penser qu’à une très faible partie de ce que je sais. Ce à quoi je pense c’est le savoir actuel ; le reste appartient au savoir potentiel. Le savoir actuel est présent à la conscience, ce dernier mot étant pris dans son sens étroit et restreint. Quel est le siège de la conscience ? c’est là une question insoluble et, en partie, oiseuse. Il suffit que ce soit chose admise sans conteste que les fonctions de l’âme dépendent de celles du cerveau. Maintenant est-ce la cellule seule qui fonctionne psychiquement, et les nerfs qui relient les cellules ganglionnaires n’agissent-ils que physiquement, c’est-à-dire comme simples appareils de transmission, c’est un point controversé. Pourtant quand un sourd muet tire la sonnette, et que son compagnon aveugle l’entend, ni le premier, ni le second ne pourront dire qu’on a sonné dans le sens qu’un homme ordinaire attribue à cette phrase. Cette comparaison ne fait-elle pas ressortir au vif, l’impossibilité d’admettre l’isolement des centres psychiques ?

J’attribue aux autres hommes une conscience semblable à la mienne. Ce n’est pas là un jugement inconscient. Cette croyance s’explique tout simplement par une association d’idées. Quand je vois un meuble en forme d’armoire, je soupçonne qu’il contient un vide, bien que je n’aie jamais consciencieusement formulé le jugement que toute armoire est creuse.

Nos idées nous viennent primitivement de l’expérience, et secondairement de la mémoire. Pourquoi rapportons-nous à l’extérieur la cause de nos impressions ? Par un effet de l’habitude. Il ne peut être ici question de faculté innée : si un homme avait pendant de longue s années toujours porté une casquette sur la tête, et que, s’en étant débarrassé, il la sentit encore, parlerait-on de faculté innée ?

Les organes des sens ne sont, comme l’a déjà démontré J. Müller, que les avant-postes du cerveau. Le moi, quoique représenté le plus clairement dans la tête, n’est cependant pas borné à l’enveloppe

  1. Das lebendige Wissen. C’est ainsi qu’on dit la force vive, pour la force qui travaille.